Bal-El, ouvrir les portes, par la photographe Valentine Vermeil

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Bab-El, de Valentine Vermeil, est un voyage à travers Israël et les territoires occupés.

Livre où les documents de nature ethnographique sont aussi des puissances de fictions, Bab-El est un espace de rencontres offert à deux peuples que la méconnaissance de l’autre, le ressentiment, la peur et l’aveuglement volontaire, séparent.

Des points sur une carte qui sont des noms de villes (Tel-Aviv, Eitan, Jaffa, Acre, Yardenit, Beer Sheva, Hachem Zane), des frontières (Liban, Syrie, Jordanie, Egypte), des pointillés (Gaza), une route (Road 60), une surface plus pâle (la mer Méditerranée) : ainsi se présentent, à l’orée d’un très bel ouvrage de photographies (cinquante reproductions), les contours et possibilités d’une Bab-El moderne.

Sur la couverture couleur de terre aux reflets cuivrés apparaît une clé disproportionnée au double statut : effrayante comme un engin de guerre, délicieuse comme une aventure.

Une phrase du philosophe Emmanuel Levinas constitue un viatique : « L’ouverture à l’autre que l’autre, celui qui m’est radicalement différent, comme une voie qui mène au Tout autre. »

Le visage parle, et oblige.

A Rehovot, près de Tel-Aviv, où des moutons paissent non loin d’un mur d’isolation sonore, que surmonte un gigantesque ensemble architectural contemporain, des femmes de la communauté des Ethiopiens juifs de Falasha, regroupés dans le quartier populaire de Quirat Moshé, font du jardinage, bavardent. Il y a un grillage, un écriteau dont les inscriptions sont en hébreu, des jeunes pousses, mais le miracle vient du petit carré de ciel qui les subsume.

On est en Israël, en Palestine, dans un double pays où la tension épuise et exalte les corps, érode et soulève les âmes, espérant des pratiques religieuses omniprésentes qu’elles soient, sous des dehors parfois agressifs, des lignes de profonde pacification.

Pour mieux comprendre son travail, j’ai souhaité converser avec Valentine Vermeil.

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Quels ont été jusqu’ici vos axes de recherches en tant que photographe ?

Je m’intéresse aux représentations du corps humain dans l’espace : j’ai commencé par la notion de traces et d’absence humaine, puis j’ai eu la chance d’entrer dans un centre pour jeune adultes autistes qui n’ont pas ou peu la notion de leur image. À partir de là, j’ai questionné la représentation d’émotions, d’expressions, de gestuelles et d’images de soi dans l’espace public.

Sur combien de temps votre projet israélien s’est-t-il formé ? Quelle en est la genèse ? Connaissiez-vous ce pays de longue date ? Avez-vous ressenti le besoin de lire et de beaucoup vous informer afin de mener à bien votre travail ?

Bab-El s’est construit entre 2008 et 2012. J’étais très curieuse de découvrir Jérusalem, berceau des trois religions monothéistes, c’était un vrai fantasme. Du coté de ma mère nous avons des origines juives très lointaines et, symboliquement, je voulais sans doute me reconnecter avec ces racines. J’avais en tête les photographies orientales et coloniales du 19e, représentant la vieille ville fortifiée et je suis allée à la recherche de ces images. Une fois sur place, j’ai pris conscience de mon décalage total avec la réalité : le conflit, la tension, le mur, l’enfermement, le racisme. En même temps, j’étais fascinée par la brutalité et l’énergie qui se dégagent de ce territoire. En 2008 et 2009, lors de mes deux premiers voyages, j’ai été photographiquement happée par la réalité du conflit, le mur, les militaires, les bunkers, etc. Je connaissais les travaux engagés d’Anne-Marie Filaire, de Valérie Jouve, et de Sophie Ristelhueber, j’étais totalement dans leurs sillons, mais je m’étais éloignée de mon désir de reconnection spirituelle et de l’énergie positive que j’avais ressentie. J’ai revu ma copie et j’ai eu une bourse du CNAP pour un projet davantage axé sur l’universel et l’humain.

De quelles aides éventuelles avez-vous bénéficié sur place ? Avez-vous rencontré des obstacles ?

Grâce à la bourse du CNAP, et à une amie qui me prêtait son appartement à coté de Tel Aviv, j’ai pu passer cinq mois sur place en 2011. En 2012, j’ai été logée quelques jours dans la famille d’un ami palestinien à Naplouse. L’obstacle majeur est la paranoïa israélienne aux  checkpoints et aéroports. Mis à par cela, je n’ai jamais cherché de situation à risque.

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Vous avez choisi une couverture rappelant les premières photographies de l’histoire de ce médium. Cet aspect vernaculaire a-t-il irrigué votre regard ?

Le monochrome de la couverture m’a été proposé par les graphistes Camping Design et il rappelle en effet les photographies en noir et blanc du 19e qui m’ont inspirée. De cette façon la boucle se bouclait. La clef est un symbole fort – elle fait référence à l’ouverture potentielle d’une porte de la Tour de Babel biblique, c’est une interprétation du territoire ; elle est aussi et surtout le symbole du retour des palestiniens chez eux, et pointe la nécessité de la reconnaissance de l’Etat palestinien.

Vous êtes particulièrement attentive à la présence des femmes. Pouvez-vous expliciter ce choix ?

Les femmes donnent la vie, l’espoir et la lumière. Mon projet vise à montrer l’universalité et la vie qui continue malgré la situation conflictuelle. Aussi, en tant que femme, je me suis tournée intuitivement vers elles.

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Quels ont été vos partis pris esthétiques au cours de ce travail ?

Je voulais raconter une histoire globale, et varier les distances pour être dans une narration fluide et rythmée. C’est un petit territoire très contrasté dans sa géographie physique, les paysages y sont magnifiques, je voulais aussi parler des communautés. J’avais établi trois distances de travail : les grands paysages, les scènes de rue, et des portraits. Ces distances sont perceptibles dans la maquette.

Vous vous intéressez beaucoup aux pratiques rituelles, aux façons d’occuper l’espace et de l’habiter. Qu’avez-vous compris avec Bab-El ?

Que nous reproduisons des gestes culturels, et que ces gestes sont probablement inscrits dans nos gènes. Je pense à la photo du Bédouin allongé dans un champ, c’est un bon exemple de gestuelle culturelle.

Vos photographies donnent le sentiment de strates temporelles très différentes. Israël est-il un décor où rejouer indéfiniment la geste biblique ?

Jésus sur son âne est une réponse, la parade du dimanche des Rameaux étant organisée tous les ans. Les juifs ultra-orthodoxes vivent comme au début du siècle dernier. Pourtant certains se déplacent en Segway. La religion et les traditions sont très présentes, pourtant nous sommes au 21eme siècle. Oui, je me suis amusée à pointer ces décalages et contradictions, tout en étant respectueuses des rites.

Votre regard est parfois ironique. Cette distance était-elle de l’ordre d’une sauvegarde dans un espace géographique où les conflits sont si graves ?

Il s’agit davantage de tendresse et de questionnements que d’ironie. Le conflit est palpable et les habitants en sont d’autant plus vivants.

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Les images de votre livre ont-elles été montrées en Israël ou/et en Palestine ? Quelle en a été la réception ?

Non, elles n’ont pas été montrées là-bas, les Palestiniens ne veulent pas entendre parler de projet israélien et vice versa. Au départ, je souhaitais donner la parole à un auteur palestinien et un auteur israélien, j’ai cherché pendant un an et demi mais personne n’a adhéré à ma démarche. Mon propos n’était sans doute pas suffisamment engagé pour un parti ou pour un autre, et ça n’est pas acceptable pour eux, ce que je peux comprendre. La création de cet Etat imposé aux Palestiniens à la suite de la Shoah a été terriblement mal gérée par les puissances internationales.

Quels sont vos projets actuels ?

Un projet sur la représentation du corps dans un cadre particulier, rien n’est fait, seulement quelques contacts ont été pris.

Propos recueillis par Fabien Ribery

9782919574988FS

Valentine Vermeil, Bab-El, texte Assaf Harel, Editions Loco, 96 pages – 50 reproductions en couleur

Site de Valentine Vermeil

Editions Loco

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Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Des paysages arides qui semblent écrasés par le soleil. Et le témoignage d’un rejet toujours bien ancré entre les hommes de ces terres …

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