
La nature est impitoyable, féroce, prédatrice, en guerre perpétuelle, et furieusement en vie jusque dans ses cycles de destruction – lorsque l’être humain, arrivé au stade terminal de sa corruption, ne s’en mêle pas.
La nature, oui, mais pas Natura, de Bernard Descamps, qui est un hymne au calme, à la mer étale, à la montagne souveraine, à la grâce butée des arbres faisant le lien entre terre et ciel, aux oiseaux calligraphes.
Quatre parties, quatre ordres, aquatique-minéral-végétal-animal, et partout cet oxygène autorisant la vie du regardeur ébloui.
Bernard Descamps marche, navigue, s’arrête, laisse monter en lui le monde solide et flottant, pour le restituer en merveilles durables, alors que tout s’apprête à sombrer.
L’apocalypse n’est pas son sujet, et pourtant, comment ne pas songer aux blessures irrémédiables infligées aux entités vivantes quand une nouvelle extinction des espèces est en cours ?

La mer est une moire, une mémoire, une mère, mais sa beauté est un leurre, une pudeur, une politesse, une mélancolie, qui cache son terrible empoisonnement.
La ligne d’horizon a l’épaisseur d’un cil, et l’on sait bien que si le mal opère, son retournement dépend de la densité de la tête d’épingle nous invitant à reconsidérer notre place.
Les mers de Bernard Descamps sont des tableaux abstraits, des toiles invitant à la méditation, telles des œuvres de Mark Rothko.
Le ciel et la mer échangent leur position – l’un pourrait être l’autre dans un mythe originel d’avant la séparation de toute chose en de multiples figures.
Les révolutions, les assassinats politiques, les drames humains, les noyades, les montagnes les regardent avec placidité, et une vague ironie, elles qui furent jadis très en-deçà de la ligne de flottaison, quand les cimes étaient le refuge des trésors maritimes, des coraux, des algues, et des crustacés.
Natura s’écrit en majuscules, ne distinguant pourtant pas entre sublime et sentiment de pudeur de la part du contemplateur conscient de sa place et de sa précarité.
Elles nous regardent, et l’on pourrait croire que rien ne leur arrive jamais que des variations de neige ou d’épaisseurs de brumes, quand elles sont fragiles comme des presque nouveau-nés.
Leurs plis sont des lèvres, leurs dépressions des bouches grimaçantes, leurs cimes des mamelons à gravir avant que de les téter comme des filles de salle.
Plus bas, les arbres forment des sentinelles, ce sont des soldats meubles et inflexibles au garde à vous.
Ils protègent des secrets auxquels vous n’aurez pas accès, l’oreille humaine n’étant pas à la mesure de leurs conversations muettes.

Tout bruit, parle, dialogue, mais tout échappe et s’enfuit dans le mystère des vols migrateurs, dans le génie des oiseaux se déplaçant de concert, inventant après Christian Dotremont de nouveaux logogrammes.
Natura ne fait pas le bilan d’un monde qui s’éteint, mais témoigne d’un émerveillement continu par-delà le saccage.
Il serait légitime qu’un jour Bernard Descamps obtienne le statut de trésor national vivant, au Japon, en France, ou au pays des oies sauvages.
Bernard Descamps, Natura, texte Maria Spiegel, Filigranes Editions, 2019, 144 pages
Bernard Descamps est représenté par la galerie Camera Obscura (Paris) et la Box Galerie (Bruxelles)
Bernard Descamps expose Natura à la Galerie du Château d’eau (Toulouse), du 29 janvier au 19 avril 2020
Vernissage mardi 28 janvier à partir de 18h en présence de Bernard Descamps
Visite commentée par le photographe mercredi 29 janvier à 18h suivie d’une séance de signature
Galerie du Château d’eau – site
J’adore l’idée de trésor national vivant. Le premier, Fabien Ribeiry ?
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