Théâtre, mer de ténèbres, par Claude Régy, auteur-metteur en scène

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© Alexandre Barry

« Je me suis aperçu que le silence n’était pas muet. Que le silence, comme le dit Meschonnic, n’est pas un arrêt du langage mais que c’est, en fait, une catégorie du langage. C’est-à-dire qu’il y a une qualité d’expression qui ne peut s’atteindre que dans le silence et par le silence. »

Claude Régy a créé des spectacles pendant plus d’un demi-siècle, environ un an par.

Des spectacles ? Non, des cérémonies de silences, des danses avec la mort, des confrontations, en mots et corps, avec l’impossible.

Jean Genet : « La scène est un lieu voisin de la mort. »

Il faut le voir dans le film que lui consacre Alexandre Barry – joint au volume testamentaire Du régal pour les vautours (Les Solitaires Intempestifs, 2006) -, marchant à pas comptés, tirant un rideau, clignant des yeux, vieil homme au visage de sage, enfant oracle très humain, paisible dans la tourmente des jours.

Nous sommes avec lui au Japon, en Scandinavie, à Paris, près des auteurs et des lieux fondateurs de son existence.

Des rais de lumière, des voiles que soulève le vent, des sensations construisant un monde simple et mystérieux.

On le voit, on l’entend, on le lit, témoignant de son art, de ses découvertes (Jon Fosse, Tarjei Vesaas, Georg Trakl, Sarah Kane, Emma Santos), de sa tentative constante de faire parler l’inexprimable, d’aller jusqu’aux frontières du grand secret originel.

Lire les classiques à partir des contemporains.

Artaud : « Je crois que toute écriture valable est de la poésie. »

Ne pas se précipiter, donner à lire, entendre, voir le temps lui-même, écouter les signes d’un langage avant les langues.

Ne pas réduire les contractions, mais les exposer, les tendre, les mener jusqu’à la déchirure.

Travailler à l’instinct, loin des divertissements médiocres – paresse de l’esprit.

Ne pas craindre d’aller jusqu’aux lisières de la folie.

Favoriser l’extrême lenteur.

Déployer la force du non-agir.

« Je ne fais rien. J’écoute le silence. Je regarde la lumière et je vis. Et ça vit autour de moi. Et c’est ça la matière qu’ensuite on va travailler. Qui va travailler. Qui va continuer à travailler pendant qu’on travaille. »

Ouvrir.

Laisser danser le chaos en soi.

« Je crois qu’il y a en nous un être sans manifestation tangible. Il y en a peut-être plusieurs. S’il y a, en nous, un être sans manifestation tangible, j’ai pensé que tout l’enjeu du théâtre serait de se laisser aller à l’écoute de cet être. »

Duras (les acteurs tuent le texte) et Claudel sont des boussoles : « Ce n’est pas un acteur qui parle, c’est une parole qui agit. »

Pour que le public voie l’acteur de près, et construise avec lui une communauté inédite, il faut réduire la jauge, se battre contre les financiers, imposer les conditions de création d’un être vivant multicéphale.

On crée avec l’être, on transmet l’être, pas des caractères ou des comportements, encore moins de la psychologie.

« L’essentiel, ce sont les notions de vastitude, de vide, c’est créer du vide et attendre de voir quels nuages viendront se condenser là. »

Et, l’heure venue, offrir son corps aux vautours, ces bienfaiteurs.

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Claude Régy, Du régal pour les vautours, suivi d’un film de Alexandre Barry, Les Solitaires Intempestifs, 2016, 96 pages

Editions Les Solitaires Intempestifs

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Alexandre Barry – site

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© Alexandre Barry

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Se procurer Du régal pour les vautours

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. barry dit :

    très beau, très juste. Merci

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