Florence Henri, Autoportrait, 1928. Florence Henri © Galleria Martini & Ronchetti
L’inscription des femmes autrices dans l’histoire de la photographie est en cours.
Les recherches sont menées, des noms émergent, des parcours sont réévalués, mais le retard à rattraper est considérable, et notre ignorance crasse.
Conscients de la disproportion existant entre la visibilité des photographes hommes et femmes, les éditions Actes Sud et Robert Delpire ont décidé de consacrer trois volumes de la collection Photo Poche aux Femmes photographes, sous la direction scientifique de l’historienne Clara Bouveresse, accompagnée, pour la sélection iconographique, de Sarah Moon – sur les 159 premiers ouvrages, seule une dizaine concernait des femmes : Berenice Abbott, Sarah Moon, Claude Cahun, Mary Ellen Mark, Martine Franck, Julia Margaret Cameron, Jane Evelyn Atwood, Graciela Iturbide, Françoise Huguier, Flor Garduno.
Dorothea Langue, Migrant Mother, 1936 © Farm Security Administration – Office of War, Information Photograph Collection, Library of Congress
Trois volumes passionnants, et indispensables pour qui souhaite découvrir un continent encore très largement inconnu.
Contribuant à l’histoire des femmes, ces ouvrages sont aussi riches qu’ils sont frustrants (une seule image par photographe), invitant chacun à prolonger par des recherches personnelles la découverte des univers et esthétiques sélectionnés.
Komol, publicité pour une teinture capillaire, Ringl + Pit, 1932 © Ringl + Pit
Courtesy of Robert Mann Gallery, New York
Présentes depuis l’origine du médium, les femmes ont dirigé des studios de photographie, déposé des brevets, voyagé pour témoigner du monde, expérimentant, cherchant, exerçant leur talent dans l’art du portrait, du photomontage, de la mode et du reportage.
Elles font plus qu’accompagner l’histoire de la photographie, elles la façonnent intrinsèquement, qu’il s’agisse de leur inscription dans le mouvement pictorialiste, du côté de la Nouvelle Objectivité, de l’abstraction, du surréalisme, de l’engagement politique.
Commençant symboliquement cette trilogie par une page sans photographie intitulée Anonymes, Clara Bouveresse écrit : « Cette page est dédiée à toutes les photographes qui ne sont pas citées dans ce livre : celles que nous n’avons pas pu inclure, celles dont le nom a été oublié ou les images ont été perdues, les professionnelles du portrait, de la mode, du reportage ou de la publicité, les assistantes et éditrices dont le travail personnel n’a jamais été rendu public, celles qui ont utilisé la photographie pour documenter leurs enquêtes scientifiques ou ethnographiques, celles qui avaient la responsabilité de saisir les moments mémorables de la vie familiale et des vacances pour compiler des albums, ,celles qui ont acheté les premiers Kodak et celles qui ont commencé avec leur téléphone portable, celles qui ne se disent pas photographes, celles qui revendiquent ce titre, les enseignantes, les pionnières, les amatrices, les membres de photo-clubs, les voyageuses et toutes les autres. »
Juneau, Alaska, États-Unis, 1938 © Courtesy of Jacky Randall and Knut Ringen and
Cascadia Art Museum, Edmonds, WA
Nous nous enchanterons donc de la levée des noms et des travaux de femmes photographes que nous ne connaissions pas jusqu’alors, sans oublier sur quel vide ceux-ci apparaissent.
Et l’ensemble est sidérant, magnifique, enthousiasmant, troublant, suscitant immédiatement une vaste curiosité.
Beauté des cyanotypes botaniques de la Britannique Anna Atkins (1799 – 1871).
Anthony Tudor Picassiana, 1955 © Courtesy Galleria Vasari, Buenos Aires
Voluptés joueuses de la comtesse italienne Virginia de Castiglione (1837 – 1899).
Grâce du théâtre des enfants de Lady Clementina Hawarden (1822-1865).
Audaces homosexuelles de l’Américaine Alice Austen (1866-1952).
I Am Its Secret (Je suis son secret), 1993 © Shirin Neshat, Courtesy of the artist and Gladstone Gallery, New York and Brussels
Regard éminemment pictural et touchant de Gertrude Käsebier (1852 – 1934).
Eloge des forces féminines et de la nature chez Anne Brigman (1869 – 1950).
Authenticité des images en lumière naturelle d’Olive Edis (1876-1955), première femme reporter de l’Histoire.
Franchise sensuelle de l’Autrichienne Dora Kallmus (1881-1963).
Sur la chenille, club de femmes, Clapham, Londres, 1956 © Grace Robertson
Courtesy of Peter Fetterman Gallery, Santa Monica
Des noms surgissent, qu’on a vu lors d’expositions ou dans des monographies, des stars parfois, Florence Henri, Margaret Bourke-White, Claude Cahun, Dora Maar, Germaine Krull, Anita Conti, Lee Miller, Diane Arbus, Dorothea Lange, Denise Colomb, Gisèle Freund, Helen Levitt, Vivian Maier…
Beaucoup de femmes s’engagent, participent aux luttes d’émancipations féministes et contre les totalitarismes, déconstruisant les représentations, témoignant des conflits déchirants le monde : Gerda Taro, Julia Pirotte, Janine Niépce, Gertrude Blom, Judy Dater, Catherine Leroy, Susan Meiselas…
Le troisième volume n’est quasiment composé que de photographes vivantes, nos contemporaines, Letizia Battaglia, Annie Leibovitz, Dolorès Marat, Vanessa Winship, Cindy Sherman…
Sans titre III, 2005 © Miwa Yanagi, Courtesy of Loock Galerie Berlin
Dans son introduction à ce dernier tome, Clara Bouveresse souligne avec justesse le dilemme de la « discrimination positive » : « pour obtenir l’égalité, c’est-à-dire pour que leur sexe ne soit plus un obstacle, les femmes sont obligées de souligner qu’elles sont exclues à cause de leur genre. Elles sont conduites à pointer du doigt une assignation dont elles espèrent qu’un jour elle ne comptera plus dans leur vie professionnelle. »
Gageons qu’en une génération, ce que désigne de tels propos appartiendra à la préhistoire de l’esprit.
Femmes photographes, préambule, introductions et biographies de Clara Bouveresse, sélection iconographique de Sarah Moon, Photo Poche, n°160, 161 et 162, 3 volumes comprenant chacun 144 pages – 188 photographies reproduites en noir et blanc et en quadri, accompagnées de notices biographiques et bibliographiques
Exposition Sarah Moon, PasséPrésent, au Musée d’Art Moderne de Paris, du 18 septembre 2020 au 10 janvier 2021
Sarah Moon au Musée d’Art Moderne
Femmes photographes, à se faire offrir pour Noël 😉
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