Politique du débordement, femmes artistes puissantes, par Barbara Polla, écrivain, galeriste

©Shaun Gladwell

« Le féminin est mort, que vivent les femmes ! » (Barbara Polla)

J’aime beaucoup la constellation d’artistes femmes qu’expose et questionne la galeriste, médecin, écrivain et commissaire d’exposition vivant entre Genève et Paris Barbara Polla – j’ai présenté dans L’Intervalle au cours des années nombre d’entre elles.

Son dernier livre, Les femmes d’aujourd’hui au regard des artistes, est un témoignage-manifeste passionnant pour un art fait par des femmes inventives, plurielles, passeuses de frontières. 

La dialectique de la puissance (spinozienne) et du pouvoir structure cet ouvrage, non qu’il faille automatiquement préférer la première à l’autre, Barbara Polla n’a rien d’une dogmatique, qui déclare dans son avant-propos : « Les femmes d’ici et d’aujourd’hui sont en pleines mutations. »

©Caroline Tschumi

Les femmes dont elle fait l’éloge interrogent le corps, le genre, la maternité, la notion de travail, la poésie, la liberté.

« Je me réjouis, écrit-elle, de voir ces femmes androgynes, ou poilues, ou queer, ou athlétiques, ou burlesques, ou grosses, ou tatouées… nous offrir leurs visions alternatives, subversives, d’une féminité qui ne sera plus jamais réduite à l’anatomie, et encore moins à un quelconque ‘destin’. »

Dans la nouvelle liberté portée par les femmes, il y a la fluidité du genre, telle que la montre, dans la continuité et la réinvention de Cindy Sherman, par exemple Violaine Lochu (mais aussi Chloé Maillet et Louise Hervé, Emilie Jouvet, Shaun Gladwell, Eva Magyarosi): « Les femmes au regard de Violaine Lochu sont infiniment femmes, elles ont des seins magnifiques, elles les montrent dénudés, elles habitent leur corps mais le débordent aussi, elles sont humaines, puissamment humaines, elles souffrent dans leur chair comme les tableaux de Bacon, mais dépassent cette souffrance. »

Il convient d’investir tous les territoires, d’inventer des passages inédits, de se choyer mutuellement, tout en offrant à l’autre la possibilité de se transformer intimement.

©Eva Magyrosi

« L’indétermination de genre, paradoxalement, poursuit Barbara Polla, se vit peut-être le plus intensément dans la relation sexuelle aboutie : lorsque deux corps amoureux jouissent l’un de l’autre, se pénètrent et s’interpénètrent, il est un moment où le sexe comme genre – masculin, féminin – cède la place à un sexe unique, jouissant, royal. »

Le corps doit être abordé dans sa pleine incarnation, regardé, aimé, investi différemment, ainsi Guillaume Varone représentant sa compagne avec l’ensemble de ses plis et marques temporelles, ou Isabelle Chapuis, plasticienne et thérapeute, observant le corps comme demeure de l’âme.

Maïa Mazaurette représente le corps masculin nu, et ses organes sexuels, avec beaucoup de bonheur et d’invention (l’exposition Beautiful Penis ayant eu lieu en 2012 à Paris avait marqué, étonné, enthousiasmé).

« Il est de notre responsabilité, avance-t-elle, en tant qu’autrices et plasticiennes, de dire aux hommes qu’ils sont beaux, de les peindre, de les filmer, de les décrire, de les convaincre de leur pouvoir érotique, un pouvoir reposant sur la coopération et le lâcher-prise. Dire et montrer leur beauté nous permettra, aussi, d’aimer les hommes en entier. Sublimer, par l’art, le phallus masculin, c’est montrer que l’homme est désirable et qu’il peut lui aussi être objet de fantasme dans une vision ouverte et joyeuse. »

©Ali Kazma

Contre les délires transhumanistes rêvant de soulager les femmes du fardeau de la grossesse, Barbara Polla rappelle la dimension de puissance de la maternité et la possibilité de jouir durant l’accouchement.

« Il faut le dire et le redire et l’affirmer, lance-t-elle, sans masquer par ailleurs la dimension quelquefois prégnante de solitude de la mère : l’accouchement, cette folie, cette violence inouïe de la vie, pour la vie, dans la vie, cette merveilleuse violence est un moment extatique. Douloureux certes, mais la douleur fait partie de l’extase et oui quelle jouissance, quelle joie intense, quelle magnificence que l’expulsion. »    

Une autre dimension explorée par les artistes contemporain-e-s est celle de la femme au travail, sujet dont s’est emparé notamment Ali Kazma – voir la vidéo Jean Factory, réalisée dans une usine de jeans en Turquie en 2008 montrant la pénibilité du travail des ouvrières.

Mimiko Türkkan et Dana Hoey montrent la grâce des boxeuses, comme Maryam Ashrafi documente en photographie le quotidien de combattantes kurdes pleinement engagées dans leur lutte.

©Mimiko Türkkan

L’Eros platonicien, l’énergie première parcourant comme un flux l’ensemble de la création, nourrit aussi les travaux plastiques de Véronique Caye, cherchant « l’amour universel, révolutionnaire, discret : un érotisme de la différence, de l’énergie et de la mise en danger de soi-même devant l’autre. »

L’enjeu est toujours de sortir de la prison, du regard de l’autre quand il veut nous contraindre, de la maison, de l’institution, du corps envisagé comme une forteresse et non une paroi poreuse – sans exclure l’ambivalence nous constituant, entre sororité/fraternité et agressivité.

Intrinsèquement résistante, la poésie est féministe, écosophique, tellurique, saisie de soi et pure étrangeté – lire par exemple Laura Vazquez.

Les femmes d’aujourd’hui au regard des artistes est un livre-enquête sur la vitalité et la force de création des femmes, sur leur courage et leurs audaces, sur leur puissance sexuelle et leur force de partage, sur la liberté quel que soit l’âge.

©Isabelle Chapuis

Concluant son ouvrage sur la dimension de grâce, Barbara Polla donne la parole à Violaine Lochu : « La grâce, c’est l’amour. Je pense à un homme que je connais, qui transpire d’amour. De lui émane comme un soleil. Pour être dans la grâce, l’homme doit échapper aux codes et oublier ce que l’on appelle généralement la virilité. C’est dans le don, dans l’aban-don, que survient la grâce. » 

Aujourd’hui est à la fois catastrophique et excitant, demain le sera davantage encore.

Barbara Polla, Les femmes d’aujourd’hui au regard des artistes, préface de Maïa Mazaurette, Editions Slatkine (Genève), 2023, 222 pages

https://analixforever.com/

©Jenny Lewis

https://www.slatkine.com/fr/editions-slatkine/75699-book-07211173-9782832111734.html

https://www.leslibraires.fr/livre/22298734-les-femmes-d-aujourd-hui-au-regard-des-artistes-barbara-polla-editions-slatkine?affiliate=intervalle

2 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Barbara Polla dit :

    Merci merci merci c’est magnifique tu es un ange ! Quel lecteur…

    >

    J’aime

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