Panser le sauvage, par Aurélie Scouarnec, photographe

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©Aurélie Scouarnec

Avec Odilon Coutarel désormais à la manœuvre graphique, les éditions Rue du Bouquet prennent de l’ampleur.

Treizième titre d’une maison d’édition en pleine expansion, Ferae, d’Aurélie Scouarnec, est un livre à l’atmosphère de sous-bois et de promenade nocturne consacré aux liens entre les animaux blessés et ceux qui les pansent.

Dans le huis clos d’un centre de soin ont lieu des cérémonies secrètes.

Y assister fut pour la photographe un privilège.

©Aurélie Scouarnec

Aucun effet d’exhibition donc, mais un respect absolu envers tous, humains comme non-humains, formant une communauté sensible.

Sur feuille volante, est présentée la planche-contact des soixante photographies de l’ouvrage, qui montre la chorégraphie des mains expertes portant attention aux fragilisés.

Des mains qui enserrent, un ballet de pressions et de relâchements, une étude classique du corps comme on en fait encore dans les meilleures académies des beaux-arts.

©Aurélie Scouarnec

Les visages sont concentrés, penchés sur l’animal temporairement emprisonné.

Il faut accepter la contrainte pour accéder de nouveau à la liberté, l’enjeu est dialectique.

L’unité chromatique relève des leçons de ténèbres baroques.

Tout est fin, sublime, bouleversant de détresse et de désir de sauver plus vulnérable que soi.

©Aurélie Scouarnec

La souplesse de la couverture entoilée à rabat donne au livre, pourtant dense de pages à déplier comme on découvre une énigme, une légèreté qui est celle d’une feuille soulevée par le vent.

On ouvre les pages comme on ouvre les ailes d’un oiseau meurtri.  

Un bras s’avance dans la gaze d’une volière, traversant des voiles, comme on les voit souvent sur une scène de théâtre, ou dans un tableau religieux.

On ne sait pas toujours exactement de quel animal il s’agit, Aurélie Scouarnec faisant entrer le spectateur dans un monde parallèle, enchanté et vaguement inquiétant.

©Aurélie Scouarnec

Des poils, des plumes, des museaux, des becs, des pattes, des griffes.

Des bulles de présence et des poids de chair, en grammes et kilogrammes.

L’œil écoute le bruissement des blessés, les cris, les grognements, les chuintements.

Ferae est un chant faisant l’éloge de la beauté du vivant, et d’une animalité se dérobant in fine à nous.

Un centre de soin ? non, un orchestre avec ses instrumentistes, et quelques solistes dont le seul orgueil est de maintenir entre tous l’harmonie d’une musique bien plus profonde que les paroles sociales.     

©Aurélie Scouarnec

Il y a ici de la tendresse, des gestes de savoir, et beaucoup d’amour, comme si notre existence dépendait de la continuité de la vie de chaque bête.

Le renard roux est merveilleux, c’est un dieu à vénérer.

Aurélie Scouarnec est au plus près des fourrures et des plumages, donnant la sensation de vibrer à l’unisson des souffles qui les animent.

Un enfant de noble gravité est là, qui contemple probablement l’animal qu’il a tenu serré contre lui durant le trajet, apprenant les gestes de sauvetage.

De l’eau, des copeaux de bois, des cages, une effraie endormie.

©Aurélie Scouarnec

Il convient aux humains de protéger ceux qu’ils ont si souvent maltraités, il y va du salut de leur âme.

La délicatesse puissante dont Ferae rend compte est un manifeste envers la beauté des liens d’interdépendance.

Comme un livre de photographie réussi, témoignant d’une vive intelligence collective, et d’un partage de silence intérieur.

En préface, Thomas Giraud écrit avec justesse : « Quel soin prendre d’un monde sauvage qui, au fond, ne nous demande rien, et dont la possibilité d’être, la raison d’être de ce sauvage, est de ne pas être entre les mains des humains ? Mais qui, là, blessé, malade, l’aile rompue et du sang plein les yeux, malmené par le sort, affaibli a probablement besoin de l’espèce humaine pour s’en sortir, être soigné, pansé, nourri, nettoyé, préparé aussi, selon un étrange paradoxe, à réapprendre la vie sauvage. »

Aurélie Scouarnec, Ferae, préface Thomas Giraud, poème Albane Gellé, design graphique Odilon Coutarel, Editions Rue du Bouquet, 2023, 108 pages – 500 exemplaires

https://aureliescouarnec.com/

©Aurélie Scouarnec

https://www.ruedubouquet.fr/product/ferae-aurelie-scouarnec

©Aurélie Scouarnec

Le 24 mai aura lieu au 44 Gassendi le vernissage d’une exposition, la signature du livre et une table ronde

La soirée débutera vers 19 h et la table-ronde aura lieu à 20 heures

Pour la table ronde, a été imaginée une rencontre autour de la biodiversité, du vivant, des enjeux écologiques et éthiques soulevés par les images d’Aurélie Scouarnec

Il y aura autour de la table la photographe, Jean-François Courreau, Céline Grisot, respectivement président et directrice de l’association Faune Alfort où l’artiste a fait un grand nombre de ses images et Henri Bony, architecte, chercheur et commissaire scientifique de l’exposition en cours au pavillon de l’Arsenal : « Paris Animal« 

La discussion sera conduite par Sébastien Wespiser

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. J.J. P. dit :

    En lisant ce billet j’ai pensé à Baptiste Morizot et son livre « Manières d’être vivant » paru dans la collection Babel. Merci

    J’aime

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