
©Linda Tuloup
« J’aime l’ivresse et sa joyeuse éthique. L’ivresse, pas la possession. » (Yannick Haenel)
Le corps est soulevé, il est égaré, un feu le prend tout entier.
Après leur premier livre commun, Vénus, Où nous mènent les étreintes (Bergger éditions, 2019), Linda Tuloup et Yannick Haenel signent, aux éditions d’artisanat Les Petites Allées, un autre opus superbe, La nuit souterraine.
Une femme nue se tient à l’orée d’une grotte.
On ne voit pas son visage, mais ce n’est pas un corps, c’est une voix, un appel.
Yannick Haenel lui aussi au bord de l’antre, initié à la fécondité noire et bleue de l’écriture, murmure : « Le chemin qui mène aux grottes est invisible. Il vous apparaît au détour d’une phrase, scintille le temps d’une étreinte et se perd en lisière du désir. On espère à chaque instant le retrouver ; on se précipite au moindre signal. J’écoute depuis l’enfance les voix qui m’attirent en espérant en espérant qu’elles m’ouvrent l’entrée de la grotte. »
Une main se tend, vous prend doucement la vôtre, et vous entraîne là où gisent les plus grands secrets.
Vous traversez des ossements, quelques crânes de cervidés, des vertèbres.
Les cristaux de silice font craquer le ciel sous les pieds, tout est inversé.
On entend au loin le chant d’une source.
« L’humidité qu’il y a dans les phrases est semblable à ce filet d’eau qui s’immisce entre les pierres ; elle creuse des rigoles dans la nuit souterraine et pénètre les roches. Le monde est secrètement mouillé. L’écriture favorise ces glissements. »
Dans la grotte qui nous ferme les yeux, une femme nous dirige.
Je l’entends : « Prends soin de toi mon amour, je partirai tout à l’heure définitivement, et tu seras seul, encore plus seul que lorsque je t’ai rencontré. Mais tu as les phrases, tu cherches les miracles et tu les trouves, tu les auras encore en abondance, je te le promets. »
J’entends Linda Tuloup, j’entends Yannick Haenel, j’entends Serge Airoldi, qui dirige la collection « Pour dire une photographie ».
Ils sont là, tout au fond de la nuit obscure et fraîche, habitant ce point de chaleur où nul ne se quitte, souriant ensemble, un peu béats, un peu idiots, comme lorsque l’on a bu.
Yannick Haenel titube un peu, sa parole troue les ténèbres, Dante l’écoute, tout va bien : « Pourquoi faudrait-il que mon regard échappe au mouvement ivre de l’univers ? Dans les tourbillons de la galaxie s’invente une dimension où convergent des feux qui font jouir des étoiles ; et puis elles s’évanouissent. Je participe à cette exubérance en poursuivant des apparitions. Si je perds la tête entre les bras d’un être qui peut-être n’existe pas, et qui pourtant m’accueille, et donc existe, c’est parce que les étreintes m’accordent au dévoilement des astres. »
La nuit souterraine est une parade nuptiale.

Yannick Haenel et Linda Tuloup, La nuit souterraine, collection « Pour dire une photographie » (Serge Airoldi), Les Petites allées, 2023 – deux cents exemplaires numérotés

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Nous aussi titubons un peu, même si nous ne sommes que les éditeurs…
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