Ensemble, par Mariëtte Lock et Eric Rondepierre, photographes

©Mariëtte Lock

Alors que j’ouvre Herenstraat, de Mariëtte Lock, j’apprends avec beaucoup de tristesse le décès d’Eric Rondepierre, photographe, plasticien, théoricien aussi sérieux que facétieux, homme de théâtre.

Notre dernière rencontre eut lieu à la galerie Eric Dupont, à Paris, en janvier 2023, à l’occasion d’une discussion avec Stéphane Zagdanski à propos de Jean-Luc Godard, qui lui aussi venait de mourir.

Il était venu nous écouter par intérêt et amitié. Il m’a pris en photo – Eric était un passionné de l’archivage, conscient de la précarité des moments et de l’existence -, je l’ai pris en photo.

Les images se dégraderont, le verbe continuera à agir secrètement, le regard ne disparaîtra pas.

©Mariëtte Lock

Que peut l’art face à la mort ?

Il peut tout, car il ne cherche pas à la vaincre, mais à la libérer de sa solitude – après tout, elle fait son boulot de corruption, simplement -, en unissant en une forme chaque fois inédite les vivants et les défunts.

On ne lit pas dans l’abstraction, mais avec les odeurs et les bruits qui nous entourent, et les conditions météorologiques, et les humeurs du moment, et la peine, et la joie.

Maintenant qu’il a le don de clairvoyance, Eric Rondepierre voit mieux que personne.

©Mariëtte Lock

Il est là, il n’est pas là, il sait déjà tout du livre que je vais présenter.

Portrait des habitants d’une rue de Gouda, aux Pays-Bas, Herenstraat, livre de format vertical, offre une vision fraternelle, douce, d’une rue multiculturelle souvent décriée pour les phénomènes de délinquance et les tensions sociales qui peuvent y régner.

La vision de Mariëtte Lock n’est pas celle des médias avides de malheur, mais celle d’une artiste observant d’abord la richesse humaine et la beauté des interrelations.

Ouvriers et relégués vivent ici, entre difficultés quotidiennes, blessures intimes, et partages possibles.

©Mariëtte Lock

Herenstraat refuse les préjugés, privilégiant l’effort de vivre dignement, l’inventivité et la pudeur de chacun, plutôt que le spectacle de la déréliction ou des comportements déviants.

Il y a des cannettes de bière abandonnées dans la rue, mais aussi le regard d’une petite fille apprenant à grandir dans le monde tel qu’il est, et que les bourgeois se refusent à voir.

La communauté afrodescendante est importante, les parcours de vie se côtoient, se mélangent aussi (allez par exemple au numéro 66).

Certes, les habitats se ressemblent et les factures sur bon nombre de tables de cuisine restent en souffrance, mais il y a aussi, malgré l’épuisement perceptible dans les yeux de plusieurs personnes portraiturées, du mélange, comme un jardin partagé humain.

©Mariëtte Lock

Religions, drogues, enfants qui jouent, prières.

La cuisine est un liant, Herenstraat est un plat bourré d’images-coriandre à savourer tranquillement.  

Le partage de la rue est la condition première de la démocratie, ce que montre ce livre faisant le constat d’un partage de l’espace possible entre communautés et générations.

La vision est-elle quelque peu enjolivée ?

Eric, toi qui maintenant as le pouvoir de la téléportation immédiate, invite-toi à Gouda, dans cette rue de mauvaise réputation, je suis certain que tu l’aimeras.

Mariëtte Lock, Herenstraat, livre autopublié, 2022, 96 pages – 150 exemplaires numérotés

https://www.mariettelock.com/

©Mariëtte Lock

https://www.mariettelock.com/book/

©Eric Rondepierre

https://www.ericrondepierre.com/

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