
Le matin après le Déluge, vers 1843, William Turner
Demain, la veille était le thème, en août 2022, du Banquet du Livre, rencontres littéraires de Lagrasse (Aude), dont tous les participants, écrivains ou simples auditeurs, savent à quel point elles sont exceptionnelles et bienfaisantes par leur sensibilité, leur partage, leur intelligence.
La conférence de clôture fut confiée à Jean-Baptiste Brenet, professeur de philosophie arabe à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui a tenté de comprendre ce que veiller veut dire, et ce que la nuit doit à la veille, ou la veille à la nuit.
La nuit est-elle première, ou le jour ?
Qui procède de qui ou de quoi ?
Faut-il comme Patrick Boucheron rappeler le dorveille des troubadours, cette vigilance d’entre chien et loup, cette mise à distance des monstres de l’engloutissement afin que tout puisse recommencer, demain ?
Veille-t-on la possibilité du jour d’après ?
Tout ne commence-t-il pas par la nuit, d’abord sexuelle ?
Et qu’en pense Ivan Segré qui interroge si bien le Talmud ? Où sont les lettres dans le brouillage de la nuit ? Faut-il l’ombre profonde pour les reposer du feu sacré qui les brûle sans les consumer ? Faut-il le noir pour les régénérer ?
Jean-Baptiste Brenet propose de penser quatre nuits afin d’envisager quatre sortes de veilles, liées.
La nuit, c’est d’abord, dans les phosphorescences, çà et là, la possibilité des lucioles, et les yeux des chats qui soudain deviennent si inquiétants, percevant alors probablement les esprits qui nous guident ou nous trompent.
Que l’on songe, rappelle le philosophe, aux lucioles de l’espoir pasolinien contre les ténèbres des faisceaux des ennemis de la liberté.
Mais la nuit est aussi accueil absolu de l’autre en soi, de tous ces arrière-mondes que le jour méconnaît souvent, trop vigilant sûrement, et pas assez veilleur.
On se repose, les sens acceptent de ne plus être aux aguets, une langue plus intime peut advenir par l’effet de notre dessaisissement.
« Dans l’hyper-ouverture, précise Jean-Baptiste Brenet, ce qui se produit de nuit, c’est l’accueil bouleversant de l’infini. »
Il y a aussi, cette troisième réflexion prenant appui sur la pensée d’Averroès (thèse du monopsychisme), la nuit comme intellect unique, puissance commune permettant, paradoxalement peut-être, de comprendre la singularité comme procduit de l’universel.
Enfin, on peut aborder la nuit comme ravage, catastrophe, feu de néant.
Il faut régulièrement le déluge, comme le conjecturait Avicenne, pour que l’humanité renaisse.
Voilà où nous en sommes, certainement, tout va bien dans le déluge, les chevaux de la destruction sont lancés.
Ce n’est pas demain, la veille ? Mais si, pleinement.

Jean-Baptiste Brenet, Demain, la veille, éditions Verdier, 2023, 64 pages – 2500 exemplaires