
« Notre personnalité se décline en quatre volets : l’intellectuel, l’émotionnel, le sexuel et le corporel. Une maladie est toujours un entrecroisement de quatre maladies. Si l’on traite un niveau sans considérer les autres, le consultant ne peut pas être guéri. Une énergie unique doit animer et faire communiquer ces quatre langages (paroles, émotions désirs et besoins) pour en créer l’union. Là apparaît l’âme. Si ces quatre énergies n’agissent pas ensemble, l’âme est malade. On ne peut pas être en parfaite santé si l’âme est obscurcie. »
Introduction à la pratique de guérisseur de l’essayiste, romancier, cinéaste, scénariste de BD et tarologue Alejandro Jodorowsky, né au Chili en 1929, La voie de l’imagination expose de façon synthétique ce que cet homme étonnant, parfois considéré comme un mage noir, appelle « la psychotranse ».
Il s’agit de considérer que la réalité est un rêve sur lequel nous pouvons agir par la force d’actes « psychomagiques » ayant une puissance transformatrice sur l’inconscient, et, de fait, notre vie quotidienne souvent marqué de troubles, névroses ou traumatismes hérités de nos lignées familiales.
Pendant des années, Alejandro Jodorowsky a fait des consultations, gratuites, à la terrasse du café Le Téméraire, près de la Bastille, à Paris, écoutant attentivement les âmes blessées venues à sa rencontre pour tenter de se débarrasser d’un problème les invalidant grandement dans leur vie intime et sociale.
Celui-ci leur proposait d’accomplir un certain nombre d’actes métaphoriquement très forts, quelquefois difficiles à effectuer, demandant simplement aux « patients » de s’engager à raconter ensuite par lettre les effets de leur passage à l’acte.
Composé de 84 lettres et de réflexions concernant sa méthode de « psyschotranse » (pouvoir de l’imagination sur l’esprit), La voie de l’imagination bat en brèche la rationalité ordinaire, sans pour autant manquer de scientificité, notamment jungienne.
Règles douloureuses, colères explosives, blocages de toutes sortes ayant épuisé, en vain, tous les thérapeutes assermentés ? « L’acte psychomagique » peut maintenant être tenté.
« Quand l’acte est entrepris, il s’opère une transformation chez le consultant même s’il croit ne pas pouvoir le faire, la réalité se prête au changement et s’adapte. Les bonnes conditions extérieures s’offrent d’une façon inespérée. Se produit une connexion magique, la réalité collabore avec le guérisseur. »
En un certain sens, tout s’aligne.
« Cela reste très mystérieux, explique-t-il toujours en ouverture de son ouvrage en développant des exemples, mais il y a une étroite relation entre les fausses couches et les morts violentes telles que des accidents, des suicides ou des assassinats advenus dans les générations précédentes. Quelque part, la fausse couche reproduit symboliquement une ou plusieurs morts brutales, comme si, par la magie de l’inconscient, cette mort revendiquait le droit à être reconnue. Selon cette interprétation, il faut repérer dans l’arbre généalogique du consultant à qui correspond cette fausse couche : un oncle, un frère, une mère… Ce serait comme une demande de l’invisible de trouver la paix en honorant ce défunt et ensuite aller sur sa tombe, la nettoyer, y déposer des fleurs et prier. »
Par des actes symboliquement puissants induisant un processus d’intégration par l’inconscient, le consultant modifie son rapport à la réalité, franchit des seuils, se guérit lui-même en devenant son propre auto-thérapeute.
Le dialogue d’une « conférence psychomagique » ayant eu lieu à l’Université Jussieu (Paris) en 1987 est repris.
Une jeune fille prend la parole : « Mon ami m’a envoyé une lettre en me disant : « Je ne veux plus jamais te voir, à moins que tu ne viennes me voir la langue pendante jusqu’au nombril. » Quoi faire ? Je l’aime encore, mais je ne veux pas m’humilier. »
Réponse : « Fabrique-toi une langue avec de l’étoffe rose. Une fois devant chez lui, mets-la dans ta bouche et frappe à sa porte. Quand il t’ouvrira, il te verra avec une langue pendante jusqu’au nombril. S’il rit, il te mérite. S’il te ferme la porte au nez, sois heureuse de rompre ta relation avec un homme aussi obtus spirituellement. »
Une autre : « Je connais un homme qui me touche à tous les niveaux, sauf sur le plan sexuel, car je n’ai pas d’orgasme avec lui. Qu’est-ce que je dois faire ? »
Réponse : « Tu dois voler à ton père des chaussettes, un slip, un pyjama, une chemisette. Tu demandes à ton ami de s’habiller avec tous ces vêtements. Tu dois boire un litre d’eau, t’asseoir sur ses genoux et uriner sur lui. Ensuite ton ami doit faire l’amour avec toi. Ainsi tu vas châtier ton père en lui urinant dessus et laisser couler l’orgasme. »
Voilà, les conseils et témoignages s’accumulent, à l’oral ou, ensuite, par lettres, toujours surprenants, scandaleux, magnifiques.
Voulez-vous véritablement vous libérer de vos démons et impuissances ?
Oui ?
Alors, il faudra en passer, pour chasser les fantômes qui vous possèdent, par un sacrifice, un dépouillement, une audace folle, un déplacement intime inouï.
Traverser ses masques, aller vers notre Ego essentiel, se confronter aux archétypes, Père Tout-Puissant, Mère Divine.
Quelle est notre place ici-bas ? notre mission ?
« Il ne faut pas rejeter les changements pour s’accomplir en tant qu’être humain. Le cosmos nous destine à une fin mystérieuse. Nous devons nous confronter à l’avenir en expulsant les mythes qu’on nous a enfoncés dans le crâne jusqu’à parvenir à la conscience ultime, celle dans laquelle nous cessons de nous voir penser, sentir, désirer ou agir. C’est un défi pour l’esprit. Il n’y a pas de séparation, ce n’est pas une expérience subjective ou objective mais une unité dans laquelle les actions qui consistent à penser, sentir, désirer ou agir s’intègrent de façon harmonieuse. L’avenir exige de nous que nous vivions dans le présent, sans préjugés ni dogmes religieux, sans fanatismes politiques, sans patries aux artificielles frontières, sans nous laisser piéger par l’âge, sans l’injustice des classes sociales, sans définitions liées au sexe, sans soif de pouvoir, de gloire ni d’argent… »
La liberté brûle, elle sauve aussi.
Les épreuves sont des tests spirituels, mais qui veut vraiment sauver son âme, plutôt que la vendre ?

Alejandro Jodorowsky, La voie de l’imagination, De la psychomagie à la psychotranse, essai traduit de l’anglais et de l’espagnol par Amanda Prat-Giral, Acres Sud, 2024, 320 pages
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