
©Brian Sergio
Brian Sergio possède l’art de l’emballage, du sceau, du ficelage.
Consacré au bondage – shibari -, son ouvrage, La Cuarto Roja, publié à douze exemplaires, n’est pas un livre pour enfants, et pas forcément pour tous les adultes, mais pour les êtres aventureux, libres, curieux, audacieux.
Ce livre de petit format fait main, relié de fil épais vert, se présente sous un double emballage, d’abord un papier rouge cacheté à la cire, puis un autre, de couleur blanc crème, plus transparent, laissant percevoir la chevelure de ses filaments, comme autant d’impulsions électriques douces, ou des algues flottant sur les méandres d’un fleuve.
On ouvre cette œuvre de délicatesse, et c’est une pendue, bien vivante, qui apparaît, tête à l’envers, bouche close.
Qui écrira le grand livre sur les jouissances de la contention consentie ?
Le plaisir ambigu de ne plus s’appartenir.
Les tensions entre pesanteur et apesanteur.
Le redécoupage du corps comme chez Hans Bellmer.
La réinvention de soi.
Les fonds sont d’un noir terrible, l’épouvante n’est pas loin, à l’extrême du jeu.
Les modèles ne sourient pas, le bondage est une cérémonie, il y a de la solennité, et parfois de la douleur.
Des flashes viennent souligner telle ou telle partie de l’anatomie, chaque fragment de peau mise en exergue par les cordes de jute devenant fenêtre de vision.
Les seins sont écrasés ou exaltés, les mains liées derrière le dos disent la soumission.
Mais qui est vraiment le maître, ou l’esclave ?
Des corps s’envolent, les tatamis s’éloignent, l’atmosphère est quelque peu démoniaque.
Torsions, grimaces, extases.
Il faudrait relire en intégralité Le Jardin des supplices, d’Octave Mirbeau.
En voici un extrait, que j’adresse à toi, lecteur, lectrice, comme à toi, Brian Sergio, qui envoie depuis les Philippines des nouvelles des corps éprouvés, sculptés, abandonnés à des forces mesurant la résistance de l’esprit.
« Et l’univers m’apparaît comme un immense, comme un inexorable jardin des supplices… Partout du sang, et là où il y a plus de vie, partout d’horribles tourmenteurs qui fouillent les chairs, scient les os, vous retournent la peau, avec des faces sinistres de joie…
Ah oui ! Le jardin des supplices !… Les passions, les appétits, les intérêts, les haines, le mensonge ; et les lois, et les institutions sociales, et la justice, l’amour, la gloire, l’héroïsme, les religions, en sont les fleurs monstrueuses et les hideux instruments de l’éternelle souffrance humaine… Ce que j’ai vu aujourd’hui, ce que j’ai entendu, existe et crie et hurle au-delà de ce jardin, qui n’est plus pour moi qu’un symbole, sur toute la terre… J’ai beau chercher une halte dans le crime, un repos dans la mort, je ne les trouve nulle part…
Je voudrais, oui, je voudrais me rassurer, me décrasser l’âme et le cerveau avec des souvenirs anciens, avec le souvenir de visages connus et familiers … […] C’est tous ceux et toutes celles que j’ai aimées ou que j’ai cru aimer, petites âmes indifférentes et frivoles, et sur qui s’étale maintenant l’ineffaçable tâche rouge … Et ce sont les juges, les soldats, les prêtres qui, partout, dans les églises, les casernes, les temples de justice s’acharnent à l’œuvre de mort… Et c’est l’homme-individu, et c’est l’homme foule, et c’est la bête, la plante, l’élément, toute la nature enfin qui, poussée par les forces cosmiques de l’amour, se rue au meurtre, croyant ainsi trouver hors la vie, un assouvissement aux furieux désirs de la vie qui la dévorent et qui jaillissent, d’elles, en des jets de sale écume ! »

©Brian Sergio
Brian Sergio, La Cuarto Roja : A Bondage book, autopublication, 2025 – 12 exemplaires numérotés et signés
https://www.instagram.com/_briansergio/
Cet article ne comprend que deux images, chacun comprendra pourquoi –

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