Cuba, génie du lieu, par Jill Hartley, photographe

« Dans la révolution tout, contre la révolution rien. » (Fidel Castro le 30 juin 1961)

Le succès international, en 1999, du documentaire de Wim Wenders, Buena Vista Social Club, a créé dans la décennie qui a suivi un engouement inédit pour Cuba, la passion pour la musique se substituant à celle des combats politiques anticapitalistes auxquels le nom de l’île était jusqu’alors essentiellement rattaché.

Munie de son Leica, la photographe américaine Jill Hartley vivant entre la France et le Mexique a saisi l’énergie spéciale de ce territoire atlantique proche de Miami.

Suite Cubana est ainsi un livre bourré de vie, et d’une joie n’effaçant pas, quelquefois, la mélancolie.  

Le quotidien reste difficile, l’île est cependant un peu moins isolée qu’auparavant, l’exil reste un souhait pour beaucoup.

Le tourisme n’est pas encore tout à fait une industrie rentable, il le deviendra vite.

« Lorsque j’ai finalement réussi à retourner à Cuba en février 2020, explique Jill Hartley dans un ample avant-propos personnel, bien informé et très bien écrit, je l’ai trouvé changé. Outre les six chaînes de télévision, les écrans plats et les téléphones mobiles, l’accès limité à Internet dans le parc, les gens semblaient plus dodus, plus frustrés et moins joyeux. Il y avait une file de fausses décapotables des années cinquante qui attendaient devant le Capitole, peintes en orange ou en violet, avec l’enseigne Renta une fantasia et toutes les salles de bals populaires que j’avais connues avaient disparu »

A l’aune de ce constat, Suite Cubana prend donc une valeur historique.

Ses voitures américaines mythiques ne sont pas encore totalement dévitalisées par le Spectacle, la rue est sensuelle, le peuple est fier – Cuba, ce n’est pas rien, en ce qui concerne notamment l’éducation et la santé.

Au noir & blanc, dans le dialogue des ombres et des lumières heurtant les bâtiments vieillis, patinés, usés par le temps, apparaissent un joueur de violon, un portraitiste à la chambre, une petite fille.

Cuba est cinétique, cinématographique, terriblement photogénique.

Des vélos, des cargos, des bus, des charrettes, des side-cars, des Américaines.

Jill Hartley marche, observe des scènes incongrues, s’enchante d’être là.

Les enfants jouent – billes, base-ball, grimpettes, boxe -, les adolescents toisent un peu, les girls sont terriblement séduisantes.

Robes à bretelles, dos nus, apprêts simples mais efficaces.

Il est commode d’essentialiser un peuple, mais il y a malgré tout le génie du lieu, cette espèce de tonalité générale emportant les corps et les actes.

Des hommes jouent aux cartes dans la rue, un autre boit un alcool fort, on n’oublie pas que José Marti était un homme admirable.

La révolution est structure, choix des angles, combinaisons multiples – 2eme partie de l’ouvrage.

Faire la révolution au nom du peuple, au nom de la fraternité, au nom de Dieu peut-être – 3eme partie – ou de quelque religion syncrétique.

Menace des coqs et d’une machette, avant que ne reprenne la vie coutumière, une sorte de dolce vita cubaine indéniable.

Art de l’otium, danses, sommeil des justes.

Sur quelle île désormais inventer le renouvellement de soi au contact de la transformation sociale la plus égalitaire possible ?    

Jill Hartley, Suite Cubana, avant-propos (français/anglais) Jill Hartley, collection « Foto » dirigée par Pierre Gaudin, coordination éditoriale Claire Reverchon et Pierre Gaudin, réalisation Aude Garnier avec Mathias Hû, Créaphis éditions, 2025, 132 pages

https://jillhartley.com/

https://www.editions-creaphis.com/fr/catalogue/view/1297/suite-cubana/?of=0

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