Il y a, dans l’œuvre de Nicolas Comment, auteur-compositeur et photographe, la poursuite d’un mouvement traversant les siècles comme le secret d’un feu caché.
Aucune délectation morose ici, mais la volonté de dire la beauté fragile, et de témoigner d’une possibilité de vie intense dans la fréquentation des grandes singularités.
La sensation poétique de l’existence, voilà le clivage, entre les idolâtres soumis aux diktats communicationnels de la société marchande, qui est brouillage et pollution des perceptions, et les adeptes de l’écoute de la parole parlante.
Nahui et Hanel sont ainsi deux poèmes-chansons publiés aux éditions littérature mineure inspirés par ces femmes suprêmement libres que furent l’artiste peintre, modèle et poète mexicaine Nahui Olin, et Hanel Koeck, muse de Pierre Molinier.
Conversation sur la poésie, la musique, la photographie et la notion d’underground comme doublure de la veste en période de glaciation.

Vous publiez chez littérature mineure, maison d’édition fondée par Marie-Laure Dagoit, des petits livres qui sont des textes de chansons. Comment avez-vous été amenés à travailler ensemble ?
J’ai tout d’abord découvert les textes de Marie-Laure Dagoit dans les années 1990, elle publiait alors de sulfureux et raffinés petits livres de poésie érotique chez Al Dante. Facétieux, modernes, féminins, j’ai adoré ses poèmes souvent extrêmes qui se distinguaient – en matière d’érotisme – des sempiternels écrits érotico-morbides à la Bataille… Les couvertures souvent signées par Berquet étaient graphiquement superbes. Je lui ai fait un mail pour le lui dire et nous sommes entrés en contact épistolaire… C’est alors que j’ai découvert qu’elle dirigeait conjointement une maison d’édition extraordinaire – les éditions derrière la salle de bain – que je connaissais déjà par certains textes (souvent inédits) de la Beat Génération qu’elle publiait et par des plaquettes de Daniel Darc qu’elle éditait avant qu’il ne (re)devienne célèbre… Elle m’a rapidement proposé d’accueillir mes textes de chansons chez derrière la salle de bain, parfois accompagnés de CD, parfois de dessins, et toujours en édition ultra limitée.
Pouvez-vous présenter le principe axial de cette nouvelle maison d’édition ?
Marie-Laure, un beau matin, a décidé de fermer les éditions derrière la salle de bain et de créer Littérature mineure. Pourquoi ? Je ne peux répondre à sa place. Il faudrait le lui demander. Il y a toujours ceci d’unique que Marie-Laure réalise tous ses ouvrages à la main. Elle caresse tous les textes qu’elle publie ! Aussi, elle n’édite pas des recueils de poésie mais plutôt des livres d’artiste… Un poème = un livre. C’est le luxe absolu !
Que revêt pour vous aujourd’hui la notion d’underground ? Est-elle encore opérante et comment ?
L’underground… Pour moi, ce serait un peu comme la doublure d’une veste : là où réside toute la chaleur humaine… On pourrait penser qu’il a disparu avec internet. Mais je crois que c’est l’inverse qui a eu lieu. Le « mainstream » tient toujours les rênes du consommateur avec l’assentiment des médias. Tout le reste est avalé par la lessiveuse numérique et est condamné à exister en dehors des tuyaux médiatiques et donc en dehors des circuits monétaires. Gratuitement et dans une relative indifférence. Voyez les kiosques à la mort de Johnny : des Inrocks au Point, le même visage partout en couverture ! L’injonction d’adhérer au courant dominant… Le culte du succès répandu par le pouvoir sur la foule des gueux … Debord avait tellement raison que c’en est à pleurer !
Vous faites paraître un texte sur l’artiste Nahui Olin, qui était une femme très libre, et exerçait les activités de peintre et modèle. Comment avez-vous rencontré son œuvre ? Est-ce à l’occasion de votre voyage mexicain, dont rend compte un livre chez Filigranes Editions (Mexico City Waltz, 2012) ? Comment la comprenez-vous ?
Oui, c’est durant ce voyage mexicain que je suis tombé nez à nez sur Nahui. C’était à Mexico, au Palais National devant l’immense fresque murale de Diego Riviera, qui tente d’embrasser toute l’histoire du Mexique. On y aperçoit, dans un coin, le regard de Nahui Olin… Une des plus belles femmes de tous les temps ! Surtout, une des icônes de la modernité mexicaine. Elle était modèle, peintre, mais poète également : ses livres sont devenus très rares, très difficiles à trouver. Elle écrivait directement en français. « Câlinement, je suis dedans », « Optica cerebral »… C’est le cri d’une jeune femme libérée dans le Mexique postrévolutionnaire. C’est essentiel !
Nahui est un poème composé de quatrains. L’avez-vous déjà chanté ?
Oui, il y a d’ailleurs deux refrains en plus dans la version « chanson », mais le compositeur avec lequel je travaillais sur ce titre – Maxence Cyrin – n’a pas trouvé cette première version assez « efficace ». Il la trouvait un peu trop « intello », donc le morceau est pour l’instant resté en l’état… Mais ce texte fait partie d’un projet d’album que je suis en train d’écrire. Un disque constitué de portraits, d’icônes. Un disque d’images que je souhaiterais réaliser en duo avec ma compagne, Milo McMullen.
« Pour s’être offerte comme cible / à la plaque sensible / – Léguant son postérieur / à la postérité – » : êtes-vous un poète zutique ? Qui sont vos maîtres en matière de prosodie et de versification ?
Aha ! Je vois très bien où vous voulez en venir avec votre référence à l’album zutique mais je ne vous ferai pas le plaisir de me livrer à une quelconque contrepèterie… Quant à ces effets de rimes pleines (ou « riches »), je crois que ça vient directement des chansons d’Aragon et/ou de l’ami Gérard Manset… C’est une façon d’asséner un « coup de poing » dans le poème. Comme la punchline des rappeurs. J’aime bien m’autoriser de temps en temps ces effets qui peuvent paraître faciles sur le papier mais qui fonctionnent vraiment à l’oral, lorsque le texte est dit ou chanté.
Nahui Olin est-elle pour vous, au croisement de Stéphane Mallarmé et de Villiers de l’Isle-Adam, l’Eve future du bel aujourd’hui ?
Villiers, c’est venu comme une réminiscence… La beauté de Nahui est tellement actuelle et son corps si « moderne » qu’il annonçait un peu de quoi nos désirs sont faits.
Qui est le « docteur Alt » auquel vous faites allusion ?
Doctor Atl – Gerardo Murillo – fut l’amant de Nahui. C’est d’ailleurs lui qui l’a nommé « Nahui Olin », en référence au calendrier aztèque et à la Pierre du Soleil. C’était un peintre des volcans. Et donc logiquement il tomba fou amoureux du volcan Nahui ! Ils vivaient tous deux dans l’ex-couvent de la Merced, sur l’immense terrasse où se trouvait un simple atelier avec un lit de planches comme il en existe des centaines à Mexico… Docteur Atl – qui était également écrivain – raconte leur passion destructrice dans un de ses livres. Notamment cet épisode, où Nahui – lassée de voir défiler des modèles dans l’atelier du peintre – le réveilla avec un revolver sur la tempe…
Pourquoi est-elle moins célébrée que Frida Kahlo ?
Elle a refusé les propositions qu’Hollywood lui faisait… Elle écrit quelque part qu’elle méprise le cinéma, son système de coucheries, etc. C’est très actuel, là encore ! Elle a préféré disparaître plutôt que de se soumettre aux producteurs. Ce n’était pas une starlette mais un poète. Un poète sexy ! Je pense aussi qu’André Breton, lorsqu’il s’est rendu au Mexique, n’a pas pu ou voulu rencontrer Nahui, contrairement à Frida qui a été exposée en France par les surréalistes. Peut-être aussi que sa peinture était moins forte. C’est pur, c’est naïf, c’est touchant, mais ce n’est pas aussi abouti que Frida Khalo. En fait, Nahui Olin était sa propre œuvre d’art. Il faut donc envisager son œuvre comme un Tout, à la Duchamp. Y compris à travers ses photographies en tant que modèle. Car c’est elle qui a désiré s’exposer comme telle en organisant une exposition de photographies d’Antonio Garduno où elle apparaissait intégralement nue. C’était au tout début des années 1920, à Mexico, et ce fut un magnifique scandale ! « J’ai un corps si beau que je ne pourrai jamais priver l’humanité du droit d’admirer cette œuvre », disait-elle… Quel panache ! On dit aussi qu’âgée – au début des années 1970 – elle gagna de quoi finir sa vie en vendant dans les jardins de l’Alameda des cartes-postales d’elle-même … La légende dit aussi qu’on la trouva morte dans son lit dans des draps où elle avait peint le corps de son amant, perdu en mer… C’est tragique, c’est tout le Mexique ! Mais sa gloire reste à venir. Nous sommes quelques-uns à la révérer. Bernard Plossu m’a écrit récemment pour me dire qu’il la considérait lui aussi comme la « véritable grande révoltée » du Mexique de ces années-là. Un film est d’ailleurs en préparation sur elle… Elle sera bientôt elle aussi récupérée par la machinerie de mort médiatique. Mais pour quelque temps encore, elle est vivante, pas encore abîmée, ni salie par la célébrité.
Vous publiez conjointement à Nahui le livre Hanel (même maison d’édition, même format). Qu’évoque votre titre ?
C’est le prénom de Hanel Koeck, une des muses de Molinier, à qui ce texte est dédié.
Il y a dans votre style comme une préciosité fin-de-siècle ironisée par la malice du ton et les références très contemporaines. Que pensez-vous de cette lecture ?
Concernant l’ironie, je crois qu’il y a effectivement une vraie jubilation à écrire sous une forme apparemment très classique qui ne l’est en fait pas. Quant à la préciosité, je crois qu’elle vient de mon amour pour les poètes décadents qui sont presque tous « précieux », et dans les deux sens du terme… En fait, je ne crois pas que l’histoire du décadentisme se soit vraiment arrêtée. Je dirais même qu’il y a un courant continu qui part de Gautier, passe par Baudelaire et Verlaine et se poursuit jusqu’à nous via Lou Reed, Gainsbourg, le punk, etc. Là encore, c’est comme la doublure de la littérature. Le manteau change de matière, change de coupe, mais le tissu rose cramoisi de la doublure reste le même… J’ai un peu fréquenté la poésie contemporaine (Heidsieck, Roche, Cadiot, etc.) mais je ne crois pas vraiment à la notion « d’avant-garde » qui suppose que l’art soit en progression. Au contraire, je pense qu’on peut utiliser des formes tout à fait anciennes et faire quand même du neuf (Houellebecq)…
Hanel peut-il être vu comme un album photographique composé de sept images/strophes ?
Je ne l’ai pas conçu comme tel, mais c’est un hommage à la Photographie, oui.
A Bordeaux, le fantôme de Pierre Molinier vous a-t-il visité ?
J’espère bien que non ! Je suis un peu en indélicatesse avec sa peinture et plutôt étranger à sa perversion… Ce que j’aime chez Molinier, ce sont surtout ses textes et les écrits que d’autres lui ont consacré (Breton, Bourgeade)…

Avez-vous besoin de vous inscrire dans une dimension mythique ou symbolique forte (Tanger, Mexico, Edgar Poe, les poètes majeurs de la seconde partie du XIXème siècle français, Jean Genet, William Burroughs) pour écrire, composer, photographier ?
Non, absolument pas. Je travaille d’ailleurs sur un nouveau livre de photographies qui parlera tout simplement de mes amis… Et j’ai toujours pris soin de photographier ce que j’avais en face des yeux : mon quotidien, mes compagnes, etc. Mais là encore, je pense que la réalité est double. On croit photographier un instant T et on se rend compte sur la planche contact qu’en fait « le passé n’est pas passé » comme dirait Godard – … Quand je voyage, quand j’écris, ma radio mentale capte des ondes branchées sur des fréquences inconnues, parfois brouillées, parfois très nettes, où des voix spectrales mais familières se font entendre… « Mes chers compatriotes, je crois aux forces de l’esprit »… C’est comme ces étoiles qui ne brillent que longtemps, longtemps, longtemps après qu’elles ont disparues…
Que demandez-vous à la nuit, aux femmes, aux livres, à la musique ?
Rien en particulier mon général !
Propos recueillis par Fabien Ribery
Nicolas Comment, Nahui, littérature mineure, 2017 – deux feuilles pliées avec rabats, 100 exemplaires
Nicolas Comment, Hanel, littérature mineure, 2017 – deux feuilles pliées avec rabats, 100 exemplaires
(Nahui Olin irradie de sa présence – peinture/photographies – cet article)
C’est une façon d’asséner un « coup de poing » dans le poème.
….
le passé n’est pas passé
Et d’autres choses encore. Merci.
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