
Vous connaissez peut-être Gil Rigoulet pour ses photographies princières de la piscine Molitor (Paris) ou ses images prises dans les milieux du rock (Reading 78, Rockabilly 82).
Le découvrir aujourd’hui autrement, en poète élégiaque, artiste proustien, renouvelle le plaisir de la fréquentation de son œuvre – immense, multiple, protéiforme.
Marie Sepchat, fondatrice de The (M) éditions, vient de lui offrir un double livre conçu comme un diptyque, Mes jours et Mes nuits, soit un ensemble de Polaroïds se découvrant sous la forme de deux ouvrages de petits formats très finement élaborés, se dépliant selon la technique de l’accordéon, chaque image pouvant être vue par transparence, comme une forme rémanente.

La couverture est cartonnée, le papier très légèrement duveté, comme une peau de nymphe à caresser.
Pour le procédé employé, mieux vaut laisser l’auteur lui-même en parler : « Le Polaroid 665 est un film positif/négatif noir et blanc instantané qui produit, une à deux minutes après l’exposition, à la fois une photographie positive et un négatif d’une finesse exceptionnelle. Polaroid fournissait un petit bâtonnet qui permettait de fixer l’image après son apparition sur le papier.
J’utilisais ce bâtonnet de fixateur en l’appliquant sur certaines parties de l’image dans un mouvement qui me permettait de sélectionner la surface que je voulais préserver. Avec le temps, les zones de l’image qui n’étaient pas fixées ont disparu petit à petit, jusqu’à ne laisser que certaines contours. »

Il aura fallu plus de quinze ans d’oxydation des parties non ou mal fixées pour obtenir ce jeu de traces et de disparition des formes. Mais, dans la mesure où ces positifs ne sont toujours pas fixés, ils continuent d’évoluer, jusqu’à une disparition totale probable dans les trente ans qui viennent. »
Le principe est donc celui de l’évanescence, de l’effacement par le temps jusqu’à l’ultime évanouissement.
Les photographies de Gil Rigoulet s’imposent ainsi délicatement, fragilement, comme des images mentales promises à la dissolution.
Ce sont des fleurs de peu, des vases, des verres, des flacons, des objets d’une noblesse simple que l’on imagine volontiers issus d’un cabinet d’amateur.
Ce sont des natures mortes, dont la volupté est immédiate, des gravures de lumière, des petits tableaux à la Morandi, des scènes japonaises, des esquisses classiques.
Une culotte posée sur la page comme un trophée modeste, du vin, un parfum entêtant, la virgule ironique de chaussettes jumelles, sont des présents somptueux, des offrandes.

Les images jouent aux funambules, elles dansent dans la main dès que l’on ouvre le livre.
La nudité est une évidence, quand Eden est à réinventer dans l’atelier photographique.
Côté jour, il y a des roses séchées, des fesses en attente de baisers, des poses à la façon du maître Jacques-Louis David.
Côté nuit, ce sont bien évidemment les mêmes images, mais plus nettes, plus survivantes, plus neuves.

On peut s’amuser à les comparer, à les superposer, à les glisser les unes sur les autres, mais mieux vaut laisser jouer la persistance rétinienne.
Présentés sur la table, Mes nuits et Mes jours sont des photographies de peintures de Rothko, ou des drapeaux symbolisant la beauté de frontières imaginaires.
L’attention au plus proche est le plus immense des défis, une morale posthégélienne.

Ce qui demeure, les poètes seuls le fondent.
La phrase est du grand Hölderlin, mais je crois que Gil Rigoulet pourrait la prononcer.
Gil Rigoulet, Mes jours, The (M) éditions, 2017, 63 pages – cent exemplaires
Gil Rigoulet, Mes nuits, The (M) éditions, 2017, 63 pages – cent exemplaires