Le dieu du Mikado, par Erri De Luca, écrivain

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« Certains voient la vie comme un fleuve, certains comme un désert, d’autres comme une partie d’échecs avec la mort. Moi, je la vois sous forme d’un jeu de Mikado en solitaire. / A l’origine, la chute des quarante et un bâtonnets servait à interroger le destin. On lisait la réponse dans la forme du tas. »

Les Règles du Mikado est un roman éblouissant d’Erri De Luca.

Sensation d’épure, construction et approfondissement d’un mystère, jeu avec la vérité doublé d’une éthique de la sincérité, statut de la parole.

Les Règles du Mikado est un texte composé de parties formellement différentes : un dialogue ininterrompu entre deux inconnus, un échange de lettres entre les protagonistes, le cahier de l’un, une lettre terminale de l’autre.

Il faut tirer un fil sans faire bouger tout l’ensemble, comprendre l’interdépendance des traits sans manquer la puissance de solitude et de singularité de chacun.

Entre le vieux campeur solitaire passant de longues périodes en montagne, et la jeune gitane en fuite trouvant refuge sous sa tente, le dialogue, prenant l’allure de versets, est profond.

Pas de verbiage, des phrases courtes, une impression d’enseignement zen dans la clarté et l’énigme de ce qui s’énonce.

 Les lois de l’hospitalité sont premières : quelqu’un entre chez vous, vous l’accueillez, lui donnez à manger, lui offrez la possibilité de se réchauffer s’il le faut.

Chacun s’interroge sur la présence de l’autre en ces hauteurs proches de la Slovénie, en plein hiver.  

Tous deux à leur façon sont des sages, et vivent à l’instinct.

Il est horloger, d’origine russe par sa mère, elle fait danser les ours, sait élever les corbeaux, et lit le destin dans les paumes de la main.

Les blessures de chacun sont profondes, au lecteur de les découvrir.

Il y a du danger, de la brutalité policière, des voyous, mais il faut avancer sans se retourner.

« Une des règles du Mikado consiste à oublier le tour précédent. »

Qu’est-ce qu’être vieux ?

Qu’est-ce qu’être jeune ?

Lui : « Tu me traites de vieux, d’accord, mais j’ai le même âge que toi, je vis à la même époque. Les générations n’existent pas pour moi. Tant que nous vivons, nous sommes contemporains. Nous sommes deux personnes. »

On se rencontre, on se voyage, on s’éprouve, on se grandit, on se quitte.

Un(e) inconnu(e) nous révèle à nous-même.

Les Règles du Mikado, dont cet article préservera le secret, est une nouvelle fois chez Erri De Luca un récit d’apprentissage, car tout nous enseigne.

Il n’y a pas de reste.

Lui : « Je ne crois pas à un quelconque sens de l’existence, mais je reconnais sa symétrie. Dans cette grotte qui m’accueille, je suis rentré dans le placenta qui m’a expulsé. »

Elle : « C’est ainsi que j’appelle l’histoire de notre rencontre et de la suite : et en revanche. / Il doit en être de même pour chaque histoire : l’interférence continuelle de l’en revanche. »   

Erri De Luca, Les Règles du Mikado, traduit de l’italien par Danièle Valin, collection Du monde entier, Gallimard, 2024, 156 pages

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