
Des oiseaux, de l’Australienne Leila Jeffreys – premier livre de l’auteure à paraître en France, chez Atelier EXB – est une merveille, l’artiste s’attachant à montrer les volatiles, non seulement dans la variété de leurs formes et de leurs couleurs, mais dans leur entière personnalité.
Cette expression étonnera peut-être, qui, dans la lignée du pur cartésianisme, pense les créatures de Dieu comme de simples automates, mais les oiseaux sont aussi à leur façon des petites personnes – la Napolitaine Anna Maria Ortese nomme ainsi les supposés plus faibles d’entre nous.

« Ma façon préférée de les photographier, confie la photographe, est d’installer un studio de portrait dans un endroit qui leur est familier. Je leur parle pendant que je travaille afin qu’ils interagissent avec moi. »
Ce sont les instrumentistes du plus bel orchestre de jazz qui soit – en Australie et Nouvelle-Zélande, Leila Jeffreys a appelé son livre Birdland, ce qui n’est pas sans faire songer à Charlie Parker.
Ils sont drôles, curieux, mélancoliques, fanfarons, pensifs, tendres, indignés, colériques.

Cacatoès, perruches sauvages, hiboux, pinsons, pigeons sont bien plus vastes en monde que nous ne les imaginons souvent.
Leila Jeffreys les fait apparaître sur un arrière-plan neutre (nuances de gris), effaçant dans un long travail de post-production leur environnement immédiat.
Nous les regardons, mais sommes aussi regardés par eux, un dialogue pouvant s’inventer, dans une langue certes inconnue.

Un hibou nous observe (première image), c’est un maître d’école qui en a vu d’autres, exigeant, sévère même, et sûrement intérieurement très fantaisiste.
Un bébé chouette titube, c’est une peluche vulnérable, le portrait craché de notre vieille mamie tant aimée.
Nous les détaillons – plumages, dessins sur les ailes, becs, yeux, tenue du cou -, nous croyons les protéger, mais ce sont eux, au fond, qui nous protègent, s’ils le décident vraiment.

L’un dort, ne le réveillez surtout pas, c’est un enfant qui rêve.
Leurs couleurs sont somptueuses, d’une grande subtilité, tout a sûrement un sens, dans la gratuité de présence supérieure de chaque membre de la gent ailée.
Pour qui sont ces bleus azuréens, ces verts d’eau, ces jaunes denses ?

Pour qui sont ces yeux cernés de plusieurs cercles colorés ?
Chaque photographie provoquant un effet de stupeur est une suspension du temps.
Mieux qu’un travail de taxidermie et qu’une exposition dans un musée d’histoire naturelle, l’œuvre de Leila Jeffreys est un hymne au génie du vivant incarné par chacun de ses oiseaux australiens.

« Les couleurs du plumage, précise l’ornithologue Guilhem Lesaffre, contribuent à la reconnaissance des sexes, comme on l’a vu, mais au-delà de cet aspect, elles permettent aux femelles de juger de l’état de santé des mâles qui s’efforcent de les séduire lors des parades nuptiales. Globalement, plus les teintes sont franches – qu’elles soient colorées ou plus sobres – et les plumes en bon état, plus cela signifie que l’oiseau est en bonne condition, donc apte à la reproduction et, éventuellement, susceptible de se montrer efficace lorsqu’il s’agira de participer au ravitaillement d’une nichée. »
Chers amis, avant de vous rendre à votre prochain rendez-vous galant, vérifiez minutieusement l’état de vos couleurs.
Leila Jeffreys, Des oiseaux, texte Guilhem Lesaffre, collection dirigée par Philippe Séclier et Nathalie Chapuis, Atelier EXB, 2020, 96 pages – 47 photographies couleur
Editions Xavier Barral / Atelier EXB

La photographe est représentée à Sydney par l’Olsen Gallery, à New York par l’Olsen Gruin Gallery et à Londres par la Purdy Hicks Gallery
On trouvera également dans la très belle collection de livres en format accordéon dédiés à la culture japonaise chez Hazan le formidable Les oiseaux par les grands maîtres de l’estampe japonaise, volume conçu par Anne Sefrioui.
On appelle depuis la fin du XVIIIe siècle kacho-ga le type d’estampes désignant des « images de fleurs et d’oiseaux », thématiquement amplement étudiée dans l’œuvre des maîtres historiques Hiroshige, Utamaro et Hokusai, mais aussi dans les générations suivantes, notamment chez Ohara Koson, très représenté dans cet ouvrage de grande délicatesse.
Plus d’une soixantaine d’œuvres, un livret explicatif, et la possibilité de faire tenir à la verticale un livre à déplier selon la forme qu’on voudra bien lui donner, sur la table du salon, le buffet, ou dans la chambre.
La nature y révèle son génie de formes et de couleurs, les artistes usant de virtuosité pour les célébrer.
L’émotion est immédiate, tant la beauté de ces œuvres de fine observation stupéfie.
Anne Sefrioui, Les oiseaux par les grands maîtres de l’estampe japonaise, Hazan, 2020
Se procurer Les oiseaux par les grands maîtres de l’estampe japonaise