That’s the real life, my friend, par Weegee, photographe

Self-Portrait, Weegee with Speed Graphic Camera, 1950 © International Center of Photography. Collection Friedsam

« Je n’ai pas de tabou – et mon appareil photo non plus. J’ai eu une vie bien remplie, et j’ai tout essayé. Ce qui pourrait vous paraître anormal à vous est normal pour moi. Et si je devais recommencer, je ferais tout pareil… juste un peu plus. »

J’ai présenté il y a quelques jours le catalogue Weegee, Autopsie du Spectacle, publié par les éditions Textuel à l’occasion d’une exposition ayant lieu à la Fondation Henri Cartier-Bresson.

Je n’avais pas encore lu alors la formidable autobiographie du plus grand des voyous classieux de la photographie.

Elle m’enthousiasme, impossible de ne pas la présenter.

Le verbe est haut, le rythme vif, les notations de vérité incessantes.

Pas de moraline, mais de l’action directe, antibourgeoise, crue, essentielle.

Weegee compare son appareil photo à une lampe d’Aladin moderne.

Cet objet magique lui ouvre peu à peu toutes les portes, et les plus grands succès.

Weegee se raconte : naissance en Autriche, arrivée aux Etats-Unis à l’âge de dix ans, installation à New York dans le Lower East Side, logements de misère, lecture comme échappatoire, goût de l’école, et de la rue.

« Souvent je me suis endormi en pleurant, affamé, le ventre vide. (…) Nos chambres étaient gelées en hiver et bouillantes en été. Pour échapper à la chaleur, nous les gamins avions pris l’habitude de dormir sur l’escalier de secours. C’était bien, jusqu’à ce qu’il se mette à pleuvoir. Alors, il nous fallait retourner dans la fournaise des chambres. Où nous attendaient les punaises. Elles s’en donnaient à cœur joie. »

Fasciné par un photographe de rue travaillant au ferrotype, Weegee, cherchant par tous les moyens à gagner de l’argent, s’engage dans cette pratique.

« Je pense, analyse-t-il, que j’étais ce qu’on pourrait appeler un photographe « né », j’avais du fixatif dans les veines. »

Achat, grâce à la vente de bonbons dans un cabaret burlesque de la 2e Avenue, d’une View Camera 5 X 7 d’occasion, location d’un âne appelé Hypo pour y photographier les bambins à califourchon, début de la gloire (modeste).

Weegee a dix-huit ans, veut quitter le domicile familial, et découvrir le corps féminin (très belle scène de rapprochement intense page 36), passion durable.

Après une multitude de métiers, il parvient à trouver un emploi dans un studio de photos de passeport dans le centre-ville.

« J’avais envie de variété dans ma vie sexuelle, comme dans mes boulots. Alors, tous les soirs, en rentrant du travail, je m’arrêtais dans un bordel différent. Ça se passait toujours de la même façon. La femme m’examinait pour s’assurer que je n’avais pas la chaude-pisse… Ensuite les deux dollars, avant de passer au lit. « Dépêche-toi chéri, il y a des clients qui attendent. » Et après, la bassine d’eau chaude légèrement rosée par le permanganate de potassium pour une petite toilette. La première fois qu’on m’a dit « chéri », c’est une pute qui me l’a dit. (…) Certaines filles aimaient beaucoup leur travail. Elles s’éclataient. Sans compter qu’elles gagnaient bien leur vie. (…) A chaque pâté de maisons de l’East Side, il y avait aussi des femmes mariées qui n’étaient pas à proprement parler des prostituées mais qui se faisaient un peu d’argent de poche pendant que leurs enfants étaient à l’école, et leur mari au travail. »

Weegee commence à photographier pour des tabloïds (Daily News, Daily Mirror…), et la presse générale, friande de faits divers (meurtres, incendies, accidents de voiture).

Son art de ramener très souvent des scoops aux rédactions des journaux est bientôt connu de tous.    

« Je ne sais comment, le bruit a fini par courir que j’étais un peu médium, parce que je le débrouillais toujours pour avoir les photos en main avant même que l’info ne soit vraiment sortie. J’avais mes méthodes. (…) Le crime était mon huître, et j’aimais ça… Mes études supérieures dans la vie et dans la photographie. »

Branché sur la fréquence radio de la police, le reporter sauvage dort souvent dans sa voiture.

Nombre de cadavres photographiés ? Plus de cinq mille.

Multipliant les anecdotes savoureuses – par exemple son séjour chez les nudistes du New Jersey, et à Hollywood appelé Zombieland -, Weegee par Weegee – onze chapitres accompagnés de portfolios – se lit dans le feu de ses phrases et de ses révélations, comme du Bukowski, ou du bon Kerouac.

C’est à l’Américaine, c’est la touche juste, et ça n’a pas peur d’attirer les dollars par le spectacle des pleurs, de l’effroi et de la désolation.

« Désormais, tous les journaux et toutes les agences me proposaient un boulot. Je leur demandais un peu de respect : j’entendais rester une âme libre. »

Le succès va croissant, il ne s’arrêtera pas.

« Photographier des gangsters s’empilant dans le caniveau ne me dérangeait pas. A mes yeux, c’était de l’ordre d’un projet de nettoyage des bas quartiers et je dis « bon débarras ! ». Mais photographier certains événements me brisait le cœur, en particulier les tragédies familiales. (…) Enfin, j’avais pris les célèbres images d’une époque violente, images que tous les grands journaux, malgré leurs ressources, n’arrivaient pas à obtenir et finissaient par devoir m’acheter. En prenant ces photos, c’est l’âme de la ville que j’ai rencontrée et aimée, que j’ai photographiée. »

Son livre Naked City, publié en 1945, le propulse dans la sphère des artistes les plus en vue.

« Le Musée d’art moderne m’offrit une grosse exposition. Du jour au lendemain, je fais sensation. Le succès me monta à la tête (et à l’appareil photo). Mes prix bondirent de cinq à cinq cents dollars le cliché. Je passais des criminels les plus recherchés aux membres de la jet-set. Je me mis à couvrir les fêtes de la haute et la mode pour Vogue, signai des reportages pour Life, des portraits de capitaines d’industrie pour Fortune, et d’ados pour Seventeen. Tout ça en plus de mon travail habituel pour Acme, PM et les autres journaux. »

L’enfant des bas-fonds vit maintenant dans le luxe, attirant à lui de belles aventurières.

« Je suis sensible aux blondes, aux brunes, aux rousses, aux Noires, aux Indiennes, aux Eskimos… – tout sauf les filles de Brooklyn et les diplômées de Hunter College. »

– Les diplômées snobs ?

– L’horreur. Trop de masques.

Quelqu’un a écrit (postface) : Weegee est le dernier des géants de la turbulente adolescence de la photographie.

« Du fixatif dans les veines », disait-il.

Weegee par Weegee, Une Autobiographie, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Myriam Anderson, Editions de La Table Ronde, 2009, 288 pages

https://www.editionslatableronde.fr/weegee-par-weegee/9782710331216

Charles Sodokoff and Arthur Webber Use Their Top Hats to Hide Their Faces, 1942 © International Center of Photography. Louis Stettner Archives, Paris

https://www.henricartierbresson.org/expositions/

https://www.leslibraires.fr/livre/912598-weegee-par-weegee-une-autobiographie-weegee-table-ronde?affiliate=intervalle

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