L’utopie de la peinture, par Jérôme Thélot, historien de l’art

Saint Sébastien secouru par les Saintes-Femmes, 1836, Eugène Delacroix, église de Nantua (Ain)

Et si la peinture pouvait nous permettre de vivre au paradis ?

Dans un essai remarquable, Jérôme Thélot pose l’hypothèse d’un radical recommencement par la peinture, dans sa teneur « en vérité, en justice et en bonté ».

Il s’agit de poser les fondements d’un nouveau paradigme où la douceur, l’attention et la réparation seraient premières.

Prendre soin du silence, non pas dans sa qualité d’effroi pascalien, mais dans sa valeur d’écoute intense, comme chez Giorgio Morandi et Alberto Giacometti, voire d’écho, si l’on se rappelle la nouveauté de l’art pariétal et des signes gravés au plus lointain des grottes.

Prendre soin des paysages et des ciels, comme chez Nicolas Poussin.

Prendre soin du visage et du rire, comme chez Fans Hals.

Prendre soin des liens, comme dans le mythème de « La Charité romaine », genre pictural montrant une femme allaitant son vieux père emprisonné.

Prendre soin de la géographie spéciale de sa vie intérieure, comme chez Bram van Velde.

La peinture peut-elle nous conduire au salut ?

Oui, si l’on regarde Irène enlever délicatement les flèches du corps de Sébastien, sujet dont la fortune advint essentiellement à la fin de la Renaissance, et dont Jérôme Thélot fait le moment axial de sa pensée.

Par la fusion d’Eros et de l’amour Agapè se crée un art compassionnel, d’essence archi-politique, où le geste se fait espoir, réconciliation, dilution de la violence originelle.

Faisant le constat du moment terminal auquel se voit aujourd’hui confrontée l’humanité, l’essayiste pense, dans sa dimension historiale, « époque de la peinture », « donations de sens », grandeur d’âme.

On le sait, la peinture peut crier – à la façon dont Dante considère Giotto possédant le cri, il grido -, mais d’abord d’un appel qu’il faut imaginer comme celui du petit être venant de naître, non comme celui du torturé.

On massacre des innocents, mais l’on peut aussi se pencher sur un vieil homme malade et affamé – la peinture est un lait de jouvence, un remède virginal, une jouissance.

L’atelier est-il prison, espace de mort ou lieu de félicité ?

Pourquoi l’enfant peint par deux fois par Manet (L’Enfant aux cerises, 1858 ; L’Enfant à la toque rouge, idem) se suicide-t-il dans l’atelier de l’artiste, drame ayant probablement inspiré à Charles Baudelaire le texte intitulé La Corde (adressé à Manet), dont Jérôme Thélot fait l’exégèse ?

Par son inattention à la sensibilité d’autrui, le peintre serait-il criminel ? N’est-il pas aveuglé par sa propre passion ?

Faut-il à l’art un sacrifice pour en fonder la puissance ?

Le peintre ne peut-il pas être double, à la fois ivre du culte des images, et de compassion envers l’humanité qu’il dénude ou dont il révèle la noble fragilité – approche rousseauiste ?

Le motif d’Irène guérissant le saint victime de sagittation peut dès lors être regardé comme la plus désirable des éthiques, valant pour la peinture elle-même.

Riche d’illustrations superbes, L’époque de la peinture propose un recommencement, un Age d’or, qui n’est pas d’hier ou de demain, mais de toujours pour qui sait percevoir, contre l’enfer techniciste en son devenir-monde de tristesse infinie, la richesse et la gaieté dans le simple, comme la grâce dans l’esprit d’enfance pensé comme base même du génie.

« Que peut, au juste, la peinture ? demandait ce livre à son début. Réponse provisoire : la peinture sera un messianisme de lumière. »

Jérôme Thélot, L’époque de la peinture, Prolégomènes à une utopie, éditeur François-Marie Deyrolle, Editions L’Atelier contemporain, 2024, 160 pages

https://www.editionslateliercontemporain.net/collections/essais-sur-l-art/article/l-epoque-de-la-peinture

https://www.leslibraires.fr/livre/23119265-l-epoque-de-la-peinture-jerome-thelot-l-atelier-contemporain?affiliate=intervalle

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