Chercher un frère, par Fanny Wallendorf, écrivain

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©Anne-Lise Broyer / courtesy Galerie S.

« Des scènes sanglantes envahissent mon esprit, des pensées qui ne m’appartiennent pas. C’est le Chasseur qui les a déposées en moi. »

Il est de certains livres, la plupart en fait, où tous les mots ne comptent pas. On les parcourt, on a compris, la langue est pauvre, la pensée manque, on les abandonne, bon vent.

Jusqu’au prodige, de Fanny Wallendorf, est un texte à lire lentement, mais en une fois, pour en savourer la beauté, la précision, les fins mouvements.

C’est un animal aux aguets dans la forêt, dont le cri permet le repérage à travers la densité végétale. 

Nous sommes dans le Vercors, les Américains ont débarqué, le maquis se renforce, une femme (Thérèse) a fui l’homme qui la séquestrait (Le Chasseur, brutal, humiliant) pour tenter de retrouver son frère (Jean) entré dans la Résistance (nom de code Timothé).

Cet homme est un parent, mais c’est aussi un amour, le plus grand peut-être.

Ces deux-là sont l’évidence, le royaume, l’éternité.

Parsemé de signes initiatiques, comme un conte médiéval, Jusqu’au prodige relève d’une expérience intérieure vécue par la narratrice traversant sa peur et les obstacles rencontrés durant sa quête (un soldat allemand pointe son fusil sur elle, c’est un diable à bouleverser ; les animaux peuvent être féroces).

Son arme pour traverser la nuit est sa voix, ses chuchotements, ses aveux (Arras en ruine en 1918, les rituels de conjuration), ses interrogations.

Livre monodique, obstiné obstinato, Jusqu’au prodige est aussi concert, valse des pronoms, polyphonie.

Il y a le saccage, hier-aujourd’hui, et les mots de Victor Hugo placés en exergue : « Dans ta pensée où tout est beau / Que rien ne tombe ou ne recule ».

Importance de la géographie et de l’onomastique, du lexique animal (linotte, grand-duc, tétras-lyre, chouette grise, échelette, murin, merle, corneille, orvet), des arbres et des fleurs (alisier, digitale, astrance mauve, cortice, genévrier, if).  

Le regard est aiguisé, et l’oreille, et la vue, Thérèse a appris à pister.  

Si ses chaussures ne lâchent pas (c’est un leitmotiv), la narratrice ira jusqu’au bout

Jusqu’au prodige emprunte aux contes, mais aussi aux mythes : voici Fauve, un épouvantable chat forestier aux yeux jaunes, voici Prodige (chapitre 4), renard noir aussi peu visible et fascinant qu’un yeti.

Quelquefois, souvent, tant mieux, la prose et la finesse des analyses à partir des détails les plus concrets font songer au meilleur Erri De Luca : « Il disait qu’aucun être ne vit sans laisser de traces. Que c’est dans lumière que sont dissimulés les secrets, que la montagne avoue tout à qui sait déchiffrer ses rébus, fouiller dans les plis. »

On pense à Georges Perec aussi pour la scène des collégiens ravitaillant en secret les rebelles.

De temps en temps, appelés Contre-Feu, des poèmes de quelques vers suspendent le récit, ce sont des éclaircies, des troués, un monologue plus intérieur encore.

La guerre peut-elle finir ?

Thérèse s’approche de vous, et murmure, c’est une sainte : Mystérieuse est la lumière.

Pour l’heure, la noirceur a gagné le paysage, et les odeurs de granges brûlées, tout est informe, la cendre colle au cœur, il faut le poème, le contre-feu, la contre-allée.

Jean est peut-être devenu une fumée, un fumet, un animal.

La non-conclusion appartient à Rûmî : Ce que tu cherches te cherche aussi.

Fanny Wallendorf, Jusqu’au prodige, éditions Finitude, 2022, 104 pages

https://www.finitude.fr/

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