
©Guillaume Greff
« Le lynx était à quelques mètres de nous et nous ne l’avons pas vu. Il nous a traîné ainsi pendant plus de deux heures. Il n’était pas du tout stressé, il prenait son temps, petite allure, au pas, il faisait parfois demi-tour pour se poser sur une souche, probablement pour nous observer. » (Guillaume Greff)
C’est un livre aux pages grises comme la brume, comme une marche dans la pluie, comme une traversée du brouillard.
Il y neige, il y fait froid, dans la levée d’une impression générale se condensant entre puissance de vie et frissons de mort.

©Guillaume Greff
La Sente, de Guillaume Greff, est un livre de géographe, de naturaliste, et surtout de pisteur.
On y décèle des formes, des traces, des reliefs.
Des nuages, des combes, des herbes rases.
Des tiges de gentianes jaunes.
Etendues blanches couvrant les pierriers.
Peaux de phoque sous les skis.

©Guillaume Greff
Sous-bois, crêtes, cadavre d’une chevrette dont les gigots ont été dévorés, laissés de renard.
On lit les mots du photographe-pisteur, on cherche avec lui le loup, le lynx, on respire, on rêve, on prend le temps.
Faut-il prendre à droite ou à gauche ?
La Sente montre avec sobriété des lieux, des indices, des branchages courbés, des troncs isolés.
Conversations muettes des mélèzes.
Discrétion.

©Guillaume Greff
Installation d’un piège photographique, comme le faisait autrefois le grand George Shiras au bord d’un lac du Michigan, documentant ainsi la vie secrète des animaux.
La nuit tombe, on n’y verra bientôt plus rien.
Ne rien forcer, garder le silence, laisser être.
Solennité des bois.
Atmosphère proche d’un film fantastique expérimental.
Il y a des empreintes dans la neige.
Nous sommes dans les Hautes Vosges, les Vosges Centrales, dans le Valais (Erra d’en Haut).
On pense à l’Himalaya de Tesson/Munier, à la panthère des neiges, invisible et omniprésente.
Monde sauvage, salut de l’âme, tout n’est pas salopé.
A la toute fin du livre, les voilà, yeux phosphorescents, le sanglier, les cerfs, le loup, le blaireau, le lynx si impressionnant.
Merveille d’une vie nocturne intense, méfiance envers les humains, joie du pisteur.
En postface, Jean-Christophe Bailly évoque le fameux poème d’Alfred de Vigny, La Mort du loup.
Et s’il s’agissait, propose-t-il dans une lecture renouvelée, d’un lynx ?

©Guillaume Greff
« Dans le livre de Guillaume Greff, avance-t-il, tout se passe comme si les images diurnes, plus nombreuses, étaient contaminées par celles prises la nuit, et ce qui nous est suggéré, c’est que la lumière du jour, ordonnatrice reconnue du visible, est en fait un autre régime de dissimulation, qui ne nous laisse le plus souvent pour argent comptant que de faibles traces et des sillages effacés, hormis quelques cas exceptionnels vécus par les pisteurs comme des éblouissements. »
La Sente nous rappelle que notre monde de maléfices n’est que passager, et que si l’humain est un nuisible, il peut aussi célébrer, modestement, magnifiquement, la vie inentamée qui le fonde très intimement, en interrelation avec l’ensemble du vivant.

Guillaume Greff, La Sente, texte Guillaume Greff, postface Jean-Christophe Bailly, éditeur Konschthal Esch – Christian Mosar, graphic design Lia Pradal, post-traitement Emilie Vialet, 2025 – 500 exemplaires
https://www.cnap.fr/annuaire/personne/guillaume-greff

©Guillaume Greff
Livre publié dans le cadre de l’exposition Reality Check (17.05 – 22.06.2025) produite par la Konschthal Esch à l’occasion du Mois Européen de la Photographie (Luxembourg) – commissariat Christian Mosar, Charlotte Masse
https://www.konschthal.lu/fr/expos/reality-check-mois-europeen-de-la-photographie