Matthieu Gounelle, chercheur de météorites, et écrivain

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« Tous les ans, en automne, je vais au Chili. Avec une dizaine de collègues, nous sillonnons le désert d’Atacama pendant plusieurs semaines pour y chercher des pierres tombées du ciel. La méthode de prospection possède toutes les apparences de la simplicité : nous marchons de longues heures, les yeux grands ouverts, rivés sur le sol/ rien ne peut nous distraire, ni le ciel, ni le vent. »

Qui a vu l’éblouissant documentaire de Patricio Guzman sur le désert d’Atacama, au Chili, Nostalgie de la lumière, a pu ressentir que ce lieu unique était l’un des points centraux de la planète, quant à notre rapport aux civilisations les plus anciennes (des archéologues y travaillent), au cosmos (la pureté du ciel est un livre ouvert), comme à l’Histoire la plus dramatique (les corps des dissidents politique victimes de la soldatesque de Pinochet, abandonnés, pulvérisés, rongés par le sel).  

Chercheur de météorites au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, l’écrivain et scientifique Matthieu Gounelle a écrit son désert en un ouvrage superbe – des dessins de Frédéric Pajak le ponctuent – et passionnant, Un ciel de pierres, Voyage en Atacama.

On y est avec lui, le dos courbé, en quête de pierres célestes, sous un ciel implacablement ardent.

« J’ai souvent pensé que le regard du chercheur de météorites s’apparentait à l’écoute du psychanalyste. Vague. Flottante. On voit une météorite comme on entend un signifiant. D’un coup. »

D’une couleur proche de celle de la rouille, ces pierres se trouvent essentiellement à deux mille mètres d’altitude, dans une étroite bande de terre nue appelée grande dépression centrale.

Conscient de la dimension sacrée de leur pratique, les scientifiques deviennent des mythologues : « Je crains parfois que les météorites ne soient comme les dents du dragon que Cadmos a plantées dans le sol de Béotie, qu’en priver la Terre ne provoque d’incontrôlables désastres, ne nous plonge dans une nuit noire et cruelle. »

Revenir au camp de base, reconsidérer chaque trouvaille, puis faire la cuisine (saine concurrence entre les chercheurs) avec le bois mort, très sec et inflammable, ramassé le long des routes, remotiver les découragés, et verser quelques gouttes de vin rouge sur la terre pour célébrer et remercier la Pachamama.

Autrefois, il y a des milliers d’années, vivaient en ces lieux terribles et magnifiques les Changos, « se nourrissant principalement de coquillages et de cétacés qu’ils poursuivaient dans l’océan à bord de robustes radeaux. Ils vivaient non loin du rivage, dans des huttes assemblées à l’aide d’os de baleine, d’algues et de cactus durcis par le sel. L’hiver, lorsque la mer est difficilement praticable, ils chassaient les guanacos, camélidés cousins des lamas à l’allure gracile et à la course légère. »

Imaginant leur vie, Matthieu Gounelle tente de retracer leurs chemins de sable, conjecturant sur leur constitution physique comme sur leur mode de vie, leur solitude, et leurs confrontations très inégales avec les conquistadores.   

On trouve en ces espaces arides de rouges peintures rupestres superbes datant d’il y a trois mille ans, mais leur emplacement doit rester secret.

« La véritable malédiction du désert d’Atacama, poursuit le scientifique, plus encore que les Espagnols, ce sont les mines. Elles existent depuis toujours dans cette partie du monde, où les métaux précieux affleurent de toutes parts, semblant ruisseler comme un fleuve d’abondance sur la terre pâle et sèche. »

Des mines, donc de la folie, des exploiteurs et des exploités, la loi du plus fort, le crime.

Mais Un ciel de pierres est d’abord une leçon de vie, écosophique.   

« Sans cesse je m’étonne du foisonnement de la vie réfugiée dans le désert, fière et impassible, faisant son miel de la moindre goutte d’eau abandonnée par la nuit. Arbustes tordus par le vent, souris étourdies par la chaleur, insectes se faufilant entre les pierres : ils sont tous là. La vie persévérant dans son être partout se dresse, indifférente à notre surprise, fidèle à elle-même, ne cherchant rien d’autre qu’à se perpétuer, comme une tradition dont chacun aurait oublié l’origine. Sa persistance, son entêtement nous honorent, et c’est avec précaution que nous la considérons, évitant de fouler même les arbustes morts, convaincus qu’ils sont prêts pour un nouveau départ, qu’ils sont en devenir, toujours sur le point de ressusciter, de s’éployer dans l’air soudainement redevenu bienveillant. Il suffit qu’il pleuve. Que quelques gouttes d’eau ensemencent le désert. Que s’attarde, pour des raisons mystérieuses, une dépression passagère, ou que s’éloigne un anticyclone repoussé par quelque invocation magique. Alors surgissent une plante, un arbuste, quelques fleurs. »

La mélancolie peut être ici sans recours, comme les beautés inimaginables du ciel en mouvement.

Récit de voyage, doublé de notations autobiographiques, de réflexions scientifiques et d’anecdotes historiques, Un ciel de pierres emporte la lecture par la qualité de son écriture et la profondeur jamais pesante de ses pensées.

Voici donc un livre étonnant, géopoétique, touchant comme un cairn, puissant comme un rêve d’utopie cherchant une unité perdue.

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Matthieu Gounelle, Un ciel de pierres, Voyage en Atacama, dessins de Frédéric Pajak, collection « Le sentiment géographique », Gallimard, 2022, 126 pages

Site Gallimard

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Se procurer Un ciel de pierres. Voyage en Atacama

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