
« Si on devait faire la psychanalyse du supporter, le stade de la lose désignerait le moment où il devient nécessaire d’accepter des actions dévalorisantes pour son équipe fétiche, afin d’éviter de basculer dans une dépression chronique. »
Mieux qu’un badge affreux autour du cou valant accréditation – soumission -, il faudra cet été à Arles, pour reconnaître vos vrais amis, vous promener avec, sous le bras, un drôle de livre à la couverture orange, Le stade de la Lose, affichant l’effigie de Footix, mascotte de l’équipe de France de football lors de la Coupe du monde 1998.
Il y aura des sourires, des coups d’œil complices, un air frais échangé dans la touffeur.

Publié de façon inédite par quatre éditeurs partageant probablement la même passion, GwinZegal (En-avant Guingamp), Images Vevey (FC Vevey), Poursuite (Paris Saint-Germain) et RVB Books (AC Arles-Avignon), cet ouvrage est constitué autour de la collection privée d’Olivier Cablat, composée d’objets marqués par des défaites ou des événements traumatiques du football.
Le titre de cette œuvre aussi passionnante et personnelle qu’impertinente dans sa défense de l’art populaire allant jusqu’au kitsch par des éditeurs considérés comme pointus, fait référence à l’Estadio da Luz, le stade du club du Benfica Lisbonne, « qui accueille en 1990, est-il précisé en préface, la demi-finale retour de la Coupe d’Europe des clubs champions entre le Benfica et l’Olympique de Marseille. Au cours de ce match, le but de la victoire et de la qualification des Portugais fut marqué de la main par Vata. Cet épisode reste à ce jour un événement traumatique pour nombre de supporters marseillais. »
Par l’ensemble des quatre-vingt-dix objets qu’il expose, Le stade la Lose est une formidable plongée dans l’univers des images attachées à la ferveur footballistique.

Comment réagissez-vous lorsque votre équipe préférée perd ?
Quelles sont vos parades ?
Comment vous consolez-vous ?
Et si votre héros s’avère être un sale type ?
Des joueurs (du Manchester United Football Club en 1958), voire des équipes entières (le Torino Football Club en 1949), périssent lors d’un accident d’avion, et l’on fabrique, pour les supportes éplorés, des ex-voto (un avion en porcelaine avec le visage des joueurs à la place des hublots), un porte-clé, un timbre commémoratif.
Le principe éditorial du Stade de la Lose est simple, efficace, lisible : sur la page de droite est montré un objet fétiche, légendé avec précision sur la page de gauche.

La raison d’être du plateau AS Saint-Etienne ? La finale de la Coupe d’Europe des clubs champions 1976 contre l’équipe allemande du Bayern de Munich.
On trouve aussi – dans un empan chronologique allant de 1949 à 2022 – des pin’s, des cartes publicitaires signées, des vignettes Panini, des fanions, des disques (Réussir sa vie, par Bernard Tapie), des pièces de monnaie, des voitures miniatures, des statuettes, des boîtes d’allumettes, briquets promotionnels, photographies dédicacées, verres, mugs, dessous de verre, balles rebondissantes, cartes téléphoniques, almanachs de facteur, posters, médailles, décapsuleurs, diffusant une iconographie construisant les lignes et formes d’un imaginaire populaire commun.
Transformer une défaite ou un trauma en victoire par la transmission d’un objet commémoratif, voici ce que montre Le stade de la Lose, dont le silence relève malgré tout de la complainte sans fin du supporter meurtri.
Je ne sais pas pour vous, mais je ne me suis jamais remis de l’évacuation sur une civière – je voyais le match avec mon père dans un bar, à cette heure tardive pour un enfant, textile, du Cap d’Agde – du Français Patrick Battiston à la suite d’un choc violent avec le gardien de but Harald Schumacher, action barbare permettant la victoire de l’Allemagne lors de la demi-finale de la Coupe du monde 1982.
Salaud de Teuton, salaud de Schumacher, surnommé avec justesse « le Boucher de Séville ».
Faut-il écouter pour se remonter le moral We’ve got a feeling, de Basile Boli – en duo avec Chris Waddle ? Pas sûr (voir l’archive 42).
Le stade de la Lose est un livre amusant, tendre, assez fou, totalement inattendu, libre.
S’il n’est pas un best-seller, je ne comprends pas.

Olivier Cablat, Le stade de la Lose, direction éditoriale Benjamin Diguerher & Grégoire Pujade-Lauraine, publié par Poursuite / Editions Images Vevey / GwinZegal / RVB Books, 2023, 192 pages

https://gwinzegal.com/editions/le-stade-de-la-lose
