La peau vivante de la peinture, par Philippe Cognée, peintre, sculpteur

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@musée Bourdelle-Paris Musées_Nicolas Borel

« Ne pas trop mettre de matière, ne pas glisser dans une forme de caricature expressionniste, flirter avec l’impossible est un exercice difficile mais éminemment exaltant. Toutes les actions de destruction et de déplacement visent un dépassement de l’image, une révélation finale. » (Philippe Cognée, entretien avec Laurence Bertrand Dorléac)

A lieu actuellement, en plein cœur de Paris, près de la gare Montparnasse, dans le Musée Bourdelle, une cérémonie de peinture exceptionnelle, intense et poétique.

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Elle est de Philippe Cognée, qui enseigna entre 2005 et 2015 aux Beaux-Arts de Paris, et dont le travail a notamment nourri l’inspiration de Marie Darrieussecq et de Pierre Bergounioux.

Parmi les merveilles exposées – peintures à l’encaustique, dessins au crayon, bois sculptés à la tronçonneuse, huiles sur photographies -, se trouve une œuvre magistrale, vertigineuse, de statut muséal, Le Catalogue de Bâle (2013-2015), ensemble comportant un millier de pièces, qui sont des peintures sur reproductions d’œuvres issues des catalogues de la foire Art Basel – lire le très bon texte à ce propos de Yannick Mercoyrol dans Intensités, 12 artistes d’aujourd’hui, L’Atelier contemporain, 2023.

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Par sa pratique de la repeinture – expression de l’écrivain, conservateur et commissaire d’exposition Colin Lemoine -, Philippe Cognée revitalise des œuvres transformées en spectres de papier, et plus largement offre une peau, de protection, de visibilité, de résurrection, à ce qui était voué au devenir-déchet de la société de consommation/consumation, ainsi également ses séries de peintures effectuées sur des catalogues montrant des produits de supermarché.   

Par la jouissance iconique convoquée par la peinture, le vulgaire se transforme en chair de noblesse, et le trivial en objet de contemplation.

Par la poétique de la prolifération et de la sérialité, Philippe Cognée rêve d’une peinture-monde, pensée comme rédemption générale.

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Il y a de l’excès bien sûr dans cette folie de peinture, mais surtout une dépense bataillienne consistant à passer de la logique calculante – dégradation dans le vil des objets et êtres – à celle de la gratuité et du don sans contrepartie.   

Il faut pour cela aller vite, lorsqu’il s’agit des repeintures, laisser le geste prendre le dessus sur le programme, oublier le verbe, les idées, les justifications.

La pratique artistique de Philippe Cognée est une énergétique, chantier permanent où coule une peinture de lave en fusion, d’autant plus lorsqu’il s’agit de l’emploi de la technique ancienne – on la retrouve dans les Portraits du Fayoum – de la cire d’abeille comme liant, et de l’utilisation du fer à repasser transformant la matière en pointes d’ébullition et plis immédiatement caractéristiques (ses fameuses peintures à l’encaustique).

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L’artiste peint avec l’histoire de l’art (Vélasquez, Pierre Paul Rubens, Ingres), le palimpseste du Catalogue de Bâle évoquant des œuvres modernes et contemporaines, d’Andy Warhol, Alexandre Calder Georg Baselitz, Louise Bourgeois… et Philippe Cognée lui-même.

Ses fleurs de grand format situées dans l’aile en béton du musée créée par Christian de Porzamparc sont des vanités où la dégradation des formes ne sont pas sans rappeler le corps déchu du Christ de Grünewald.

Dans son excellent texte situé à l’orée du catalogue, Colin Lemoine résume : « On peint toujours d’après. Après l’autre, après des autres, après des huiles sur toile et des temperas sur bois, après des polyptiques alignés dans des pinacothèques ou des tableaux d’histoire suspendus dans des déambulatoires des églises, après Cimabue, Rembrandt, Van Gogh ou Cézanne, après des crucifixions, des autoportraits, des champs de blé ou des baigneuses, après Frenhofer et Elstir, après Lascaux et Pompéi, après des aurochs dans des grottes humides ou des cultes bachiques dans des tombes insolées. On peint toujours après de la peinture. »

@musée Bourdelle-Paris Musées_Nicolas Borel

Nous vivons dans l’impensé de ce que supposent comme violence les abattoirs – série des Carcasses -, et plus généralement les supermarchés dans la rationalisation asphyxiante de l’empire des choses.

En peignant sur des reproductions d’œuvres d’art, en façonnant des autoportraits troublés par le magma de la cire chauffée, en sculptant des têtes de singes ou inventant des tournesols comme des être de lumière déments, Philippe Cognée pratique des rites de désenvoûtement, faisant de la peinture un territoire de liberté nouvelle favorable aux épiphanies, dans la traversée des apparences, jusqu’à la défiguration.   

Philippe Cognée, La peinture d’après, textes Ophélie Ferlier-Brouat, Colin Lemoine, Pierre Bergounioux, entretien de l’auteur avec Laurence Bertrand Dorléac, Les Musées de la Ville de Paris/ Musée Bourdelle, 2023

Catalogue produit à l’occasion de l’exposition Philippe Cognée au Musée Bourdelle (Paris), du 15 mars au 16 juillet 2023

https://www.billetterie-parismusees.paris.fr/selection/timeslotpass?productId=102022028193&gtmStepTracking=true

Également au Musée de l’Orangerie (Paris), du 15 mars au 4 septembre 2023

https://www.musee-orangerie.fr/fr/agenda/expositions/philippe-cognee

Philippe Cognée est représenté par la Galerie Templon (Paris-Bruxelles-New York)

https://www.templon.com/fr/artists/philippe-cognee/

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