
©Fred Goyeau
Dédiée à la photographie analogique noir & blanc, à l’inventivité des pratiques, aux auteurs discrets et puissants, la nouvelle collection appelée Les carrés cousus des éditions Bergger soulève une grande joie.
Se présentant sous la forme de carnets de voyage de quarante-huit pages, les deux premiers volumes sont confiés à Fred Goyeau et Félix Paturange.
Grand spécialiste du tirage noir & blanc installé à Ivry-sur-Seine, collaborant avec de nombreux photographes, parfois prestigieux (Sophie Calle, Igor Mukhin, Jean-Luc Bertini), Fred Goyeau a conçu Hard time for everyone sous le choc de la disparition de sa mère, puisant dans ses archives pour en restituer l’intensité émotionnelle.

©Fred Goyeau
Marqué par le silence, son opus est à la fois l’expression d’un manque, d’un vide, et de la force de surgissement de ce qui apparaît sous l’objectif, la preuve d’une présence, non pas directe – il ne s’agit pas de rassembler des photographies montrant une mère -, mais métaphorique, suggestive, symbolique.
Des mains d’une femme assise tenant un verre formant un cœur, et dessinant avec les avant-bras les lignes d’un triangle au niveau du pubis.
Un homme seul de dos, dans sa cuisine, contemplant l’absence.
La porte d’une chambre entrouverte.
Des griffonnages d’enfant, à la craie, sur le sol.

©Fred Goyeau
Une cave sans aucun objet, des chaises alignées comme lors d’une veillée funèbre, un lit d’hôpital.
L’angle noirci d’un mur d’extérieur, des véhicules sous bâche, un volant sans conducteur.
Un horizon de soleil.
On ressent ici le désarroi et la stupeur du photographe, mais aussi sa foi en la vie, en son spectacle, et en la comédie involontaire des apparences.
La série est très belle, invitant les images à entrer en résonnance, à se correspondre, à sous-converser.
Des lignes, des assemblages, des structures, l’existence relève d’une géométrique transcendante.
Le temps est suggéré, l’esseulement, la désolation, mais aussi les aubes nouvelles, le neuf, la multiplicité étonnante des formes, vivantes ou non.
Hard time for everyone est un livre de deuil, d’hommage et d’espoir.

©Félix Paturange
Avec Sur le fil, Félix Paturange, photographe né en 1996, explore lui aussi à sa façon l’énigme de toute présence, et de toute vision.
« La relation qu’entretient Félix au monde, écrit de lui son ami Solal Rigoni, est partout où se pose son regard. Il la transmet en prenant grand soin de na pas orienter notre sensibilité, laissant à nous, spectateur, la responsabilité de faire le dernier pas – de face ou de côté – pour s’y immiscer avec lui. »
Chez Félix Paturange, les noirs sont profonds, et les visages de grâce.

©Félix Paturange
La lumière est chez lui une théophanie, elle dessine des silhouettes, révèle des pans de corps, poudroie à la surface de l’onde où nage, paisible menace, un requin.
Le mur des lamentations vers lequel une main s’avance est une surface de joie dans la douleur.
Il y a des bris de verre qui sont des éclaboussures d’eau, et des roches tombées qui sont des impacts de balle.
Nous sommes en Espagne, à l’heure de midi, peut-être.
Nous sommes dans l’espace d’une fouille archéologique, peut-être.
Nous sommes dans les pages d’un conte fantastique, peut-être.

©Félix Paturange
Signes d’un autour planant sur la forêt, d’un câble tendu par un lamaneur, d’un totem de cactus, d’un angelot isolé dans le ciel, d’un cheval à la gueule coupée.
Chez Félix Paturange, le visible est une énigme.
Dansent des flammèches qui sont un peuple soumis à l’hécatombe, peut-être.

Fred Goyeau, Hard time for everyone, conception Olivier Marchesi, Bergger Editions, 2023, 48 pages – 150 exemplaires
https://bergger.com/fr/8-editions
https://bergger.com/en/accueil/102-hard-time-for-everyone-par-fred-goyeau.html
https://www.fredgoyeauphotographie.com/

Félix Paturange, Sur le fil, préface de Solal Rigoni, conception Olivier Marchesi, Bergger Editions, 2023, 48 pages – 200 exemplaires
https://bergger.com/fr/accueil/110-sur-le-fil-par-felix-paturange.html