
©Jeff Burton
On a bien compris avec Paul Virilio et Jean Baudrillard que les Etats-Unis fonctionnent comme un vaste simulacre – dans ses travaux récemment présentés dans L’Intervalle le photographe Allemand Viktor Hübner pose cependant l’hypothèse, sans ironie, d’une possible vie intérieure chez les Américains.
Avec Jeff Burton, qui a conçu pour la collection Fashion Eye un volume consacré à la ville-phare du désert de Mojave après avoir beaucoup regardé Los Angeles, un pas supplémentaire est franchi : les Etats-Unis, vus à travers le prisme de Las Vegas, sont le pays de la pure liquidité, du flux, de la surface absolue.
L’œil s’ouvre sur un cratère bordé de nuages bleus, nous entrons dans un espace fantastique, dans un vortex aspirant l’ensemble du visible.
Las Vegas est un cyclone à terre, vertige d’un cercle tournoyant sans s’épuiser, comme une roue de casino tournant sans fin dans la nuit.

©Jeff Burton
Le soleil se lève sur la cité démente. Il y a certes encore un ailleurs, mais qui très vite sera avalé par la frénésie lumineuse d’une ville n’admettant pas d’autre pouvoir que sa force magnétique.
Puissance des lux, chaleurs, sueurs, suées.
Les photographies de Jeff Burton, qui a travaillé sur les plateaux de tournage de films gay pornographiques avant de se diriger vers la mode, sont pensées dans leurs points d’abstraction, jusqu’à la déroute de tout repère.
Le papier est ici plus que brillant, c’est une surface de glace, froide et brûlante comme de la neige carbonique.
Postmodernité, hypermodernité, surmodernité, choisissez vos références.
Le chapiteau corinthien tutoie les nuées, c’est un élément de décor parmi tant d’autres dans une ville où les vies sont avalées par le maquillage.
Le show est permanent, et les protège-tétons d’adorables coquillages à pompons.

©Jeff Burton
Les nymphes sont roses et mauves, les baigneurs dans les piscines des hôtels de luxe ont des yeux turquoise, alors que les boxeurs pratiquent leur noble art sur les écrans habillant les buildings.
Un peu de sang à la commissure des lèvres, aisselles ruisselantes, illusionnisme des fesses musclées.
Le public se lève.
Sur le ring, les monstres à gueule tordue souffrent et se cognent pour le plaisir de tous.
Tout roule dans le spectacle électrique et les millions de dollars, dans l’antre de l’enfer et les gambettes des naïades synchronisées.
Las Vegas a volé le feu aux dieux, devenu entre ses mains coulées de lave et de ice-creams.

©Jeff Burton
Par l’amniotique de ses pages glissant entre les doigts – il n’y a pas de prise mais un glaçage d’écran de télévision -, Jeff Burton a représenté la cité du Nevada comme un miroir des vanités, ne possédant plus d’extériorité une fois atterri l’avion des rêves suprêmes y amenant les touristes fascinés.
Son Las Vegas est beau et terrifiant comme une prise d’acide, glamour et labyrinthique, égarant et transcendantal.

Jeff Burton, Las Vegas, edited by Patrick Remy, editorial director Julien Guerrier, editor Anthony Vessot, Louis Vuitton Fashion Eye, 2022

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