
©Francine Cathelain
Il y a ceux qui voient, et les autres.
La faculté est mystérieuse, qui outrepasse les apprentissages, et relève plutôt d’une capacité à sentir que tout est seuil, frontière, passages incessants entre le visible et l’invisible.
Et je laisserai mes yeux voler, dont le titre est emprunté à un livre de Philippe Jaccottet, Nouveaux conseils de la lune, est un ouvrage composé de nocturnes, de présences furtives mais puissantes, de végétaux saisis dans leur vie secrète, alors que les enfants s’apprêtent à dormir.

©Francine Cathelain
Que se passe-t-il entre chien et loup ? Rien, tout, des métamorphoses.
Le paysage se dissout, bleuit, verdit, s’assombrit.
Les repères se sont estompés, il faut se diriger à l’instinct, faire confiance à nos sens internes, entrer dans la dimension de la voyance, de l’éveil, de la communication avec les mondes supérieurs.
Pour voir vraiment, il faut alors respirer à l’unisson des arbres, des herbes, des chats errants.

©Francine Cathelain
Invitant à passer de l’autre côté du miroir, le premier livre de Francine Cathelain, lauréate du Prix Escourbias – Fondation des Treilles 2023, pourrait être un conte noir ou de réminiscences nervaliennes, alors que le retournement du regard opère si l’on accepte de vaciller sans crainte.
Tel la pélerin chérubinique avançant dans le mystère de ses visions, la photographe marche en ses forêts comme si elle explorait sa propre intimité – loin, très loin, de la glu psychologique -, tout en affrontant par la force de la non-identification de possibles démons.
Son livre est ainsi dédié, très admirativement, et avec gratitude, aux entités naturelles considérées comme des êtres de pleine sensibilité : « [aux] terres racées de Drôme provençale et de Provence, nobles amandiers, cistes, cyprès, genévriers, filaires, lauriers roses, oliviers, pins d’Alep, platanes et yeuses, envoûtantes crêtes du Lubéron, des Maures et du Mont Ventoux, par trop discrets et invisibles chevreuils, écureuils, marmottes, martres des pins, pipistrelles, renards, salamandres de fu et sangliers. Peut-être loups. A toute présence indéfinie. »

©Francine Cathelain
Les mots de Philippe Jaccottet accompagnent l’hôte des bois, ce sont des parures de protection pour affronter la nuit.
« Traverser / l’air », écrit le poète.
Une route sinueuse, des flaques de significations obscures, des rochers qui parlent une langue inaudible aux humains.
Des arches, des porches, des grottes.

©Francine Cathelain
La découpe d’une crête illuminée de vert sauvage, avant que les ténèbres ne l’engloutissent.
Des voiles, des gazes, des transparences.
« Un / asile / délicat », entend-on murmurer.
Tout est calme, les divinités anciennes, si meurtries par la férocité humaine, peuvent apparaître.
Il faut fermer les yeux, accepter d’être vu, vulnérable, fragile, démuni, nu, par plus intègre que nous.
Par son travail photographique s’élaborant aux lisières de l’abstraction, Francine Cathelain propose au spectateur l’aventure d’une expérience intérieure.
Publié par les Editions Odyssée, son ouvrage radicalement poétique, se situant dans la belle tradition du vertige romantique, est superbe.
On attend avec impatience une exposition.

Francine Cathelain, Et je laisserai mes yeux voler, direction éditoriale Yegan Mazandarani, direction artistique William Keo, direction technique Alain Escourbiac, design graphique Pascal Perron, éditrice junior Romane Gayan, Editions Odyssée, 2023 – 800 exemplaires
https://www.editionsodyssee.com/

©Francine Cathelain
https://www.les-treilles.com/la-creation/prix-escourbiac-fondation-des-treilles/
Ça a l’air très beau !
J’aimeJ’aime