Lignes de front, lignes de mort, par Edouard Elias, photographe

©Edouard Elias

Troisième titre de la collection légère des Editions Bergger intitulée « Les carrés cousus », Ligne de front, d’Edouard Elias, expose en format panoramique la guerre des tranchées en Ukraine sur la ligne de front à Avdviika.

On pense, pour l’utilisation du panoramique, à Josef Koudelka, qui s’y exerce depuis les années 1980, ou même, antérieurement, aux daguerréotypes panoramiques de Frédéric Martens dans les années 1840 et de Felice Beato quelque dix ans plus tard.

Pour qui choisit de documenter l’histoire des guerres en train de se faire – ici entre 2017 et 2018 -, l’intérêt est évident, qui permet de créer une fresque pouvant ouvrir l’espace à l’ensemble des situations, le photographe ayant pu opérer des deux lignes du front.

©Edouard Elias

De quel côté est-on ? Comment le savoir ?

Il y a bien des détails, des signes, des marqueurs identitaires, mais, au fond, l’impression générale est celle d’un même peuple soumis aux mêmes logiques d’antagonisme.

Nous sommes dans le Donbass, mais ce pourrait être aussi en Champagne durant la Première Guerre mondiale.

« A Donetsk, aujourd’hui, écrit en préface Didier François, comme hier à Verdun, la pelle ou la pioche sont souvent plus importantes que le fusil. On voit d’ailleurs ces outils, posés au premier plan de l’image. Ils nous intriguent, nous interrogent, ces mêmes outils qui pourraient également servir à excaver une sépulture. Comment chasser cette appréhension ? Tout évoque le drame, l’inéluctable. L’attitude résignée de ce soldat inconnu, la végétation atrophiée, alignement de troncs mutilés qui se découpent sur un ciel sombre en arrière-plan de cette photo où Edouard Elias nous suggère la mort sans jamais nous la montrer. »

©Edouard Elias

Le noir et blanc contrasté rend sensible la tension, l’explosion possible des corps, les balles pouvant déchirer l’espace.    

Des citations viennent questionner le rôle du témoin (Thucydide), de l’observateur (Erich Maria Remarque), le culte des héros et l’ivresse des instincts de mort (Stefan Zweig), les éclairs de bonheur dans la désolation (Roland Dorgelès), l’instinct de survie (Vassili Grossman), la fraternité des soldats (Ernst Jünger), le déshonneur de la guerre (Guy de Maupassant).

Des formes recouvertes par la neige, des ruines, un spectacle lamentable, d’effondrements et de sépultures creusées à la hâte, voici la guerre.

On la connaît, elle revient, elle a besoin de s’exprimer, c’est une enfant terrible éternellement blessée.

Immeubles soufflés, arbres martyrisés, salles de classe défoncées.

On se creuse, on se terre, on s’enterre.

Des Terriens ? Oui, ou des termites, des créatures édifiant leur terrier.

Guerre de position, sacs de sable, armes pointées, treillis.

L’ingéniosité mise à se détruire mutuellement est remarquable.

©Edouard Elias

Demain, ça ira mieux, mais demain ça recommencera, tant que les serpents de la dispersion et de l’anéantissement ne seront pas maîtrisés.

Ils ne sont pas extérieurs, mais en nous.

Fatigue de vivre, balle dans le crâne, répugnances.

Ligne de front est un livre calme, on y sent la froideur et l’indifférence de la mort.

Il faut marcher, partir, s’éloigner, et refonder dans quelque territoire lointain le royaume des bienheureux.

Edouard Elias, Ligne de front, préface Didier François, conception Olivier Marchesi, Bergger Editions, 2023 – 150 exemplaires

Edouard Elias, It could have been a beautiful, directeur d’édition et de publication Mathias Van Eecloo, IKKI, 2023 – 500 exemplaires numérotés

Article sur ce livre publié le 1er décembre 2023

Edouard Elias est représenté par la galerie Polka (Paris)

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