
©Sébastien Berlendis
« La dernière nuit de la semaine, je me retrouve dans sa chambre, assis sur son lit. Sabrina enlève son tee-shirt, retire le mien, ses petits seins bruns, elle m’enlace, ses lèvres sur mon cou, sa peau a le goût de raisins de serre, elle m’enlace longuement, je parviens enfin à pleurer. »
Un après-midi de mai, un professeur de philosophie – profession de l’écrivain exerçant à Lyon -, demande à ses élèves d’écrire sur les plus beaux souvenirs qu’ils souhaiteraient conserver.
L’écriture devra être au présent, une élève s’avance à la fin du cours pour demander à son enseignant d’écrire lui aussi, un livre commence.

©Sébastien Berlendis
Avec Des saisons adolescentes, Sébastien Berlendis compose, à la faveur des textes qui lui sont confiés, des récits de grâce teintés de mélancolie ou de drame ayant quelquefois une substance autobiographique.
Il ne s’agit pas de mimer des voix adolescentes, ni d’un exercice consistant à varier de façon forcenée les styles, mais d’un continuum d’expériences relatées avec pudeur par un narrateur se confondant parfois avec l’auteur, le jeu sur l’identité mouvante du conteur étant l’une des surprises constantes de ce beau livre.
Sébastien Berlendis possède l’art de construire en quelques lignes et détails bien choisis des tableaux très visuels, à la façon d’un cinéaste, ou d’un photographe (qu’il est aussi).
« J’ai dix-sept ans, c’est un jour de mai à Licata sur la terre sicilienne de mon père. Je suis seul sur la plage face à la maison familiale, cette maison accolée à d’autres que longe la voie ferrée. Je retiens la saleté du sable, les mégots, les sacs plastiques, les grappes de mouettes, la sensation du délaissement, de la beauté malgré tout. Craquèlement des façades, rambardes à demi dévorées par le sel et la rouille, au loin les barres d’immeuble vides, ces images toujours identiques qui tournoient dans ma tête. Le vent souffle sur les palmiers qui encerclent les cabanons, le soleil brûle leurs murs et ma peau. »

©Sébastien Berlendis
L’adolescence est période de stases et d’actions vives, de retrait et d’engagement, d’attente et d’impatience, d’enthousiasmes et de d’atonie.
Les collines de la Croix-Rousse, un père vivant à Lisbonne, un texte écrit par une femme portant une robe rouge.
On imagine les élèves penchés sur la feuille recueillant leurs souvenirs, mais aussi le travail de l’écrivain puisant dans ce fond pour en réinventer les coordonnées et multiplier les positions de locuteur.
Des flirts, des caresses furtives, on fait l’amour ou pas, tout est neuf.
On franchit les clôtures des parcs, on s’embrasse ou l’on se mord.
Vacances d’été, corps libérés, circulation du désir.
Le décor est essentiellement celui du bassin méditerranéen, Var, Tanger, Monastir, Corse, valse des prénoms (Jessim, Sabrina, Nicolas, Marianne, Violette, Olivier, Noam, Amandine, Anna).
Ennui, fêtes, plages, solitude.
Confidences.
Dépits amoureux.
« Je ne pourrai pas toujours éviter Iness, sa robe bleu clair qui se défait par-devant, elle aura un sourire, celui qu’on réserve à ceux qu’on quitte. »

©Sébastien Berlendis
Maisons de famille, villas, appartements, anonymat.
Frôlements, rapprochements, départs brusques.
« Quelques événements trouent la monotonie des jours. Certaines nuits, des garçons rejoignent des filles. Je me demande d’où ils viennent, j’entends les râles, les éclats de rire. Le matin, il m’arrive de surprendre des corps nus et enlacés. Le corps des garçons ne me fait pas frémir. »
Composé de courts chapitres, Des saisons adolescentes construit des manières de séquences parfaites, entre éveil du printemps, constats amers et joies inédites.
Sébastien Berlendis jette peut-être sur la page des indices biographiques, comment savoir ?
« Entre l’espoir d’une vie recommencée et les mots de mon père lors du dernier dîner je ne sais plus si j’aime votre mère, trois mois. Trois mois où j’ai appris à grandir plus vite. »
Pas d’afféterie, mais des émotions.
Qui serai-je si j’avais été une fille ?
Qui serai-je si je n’avais pas été moi ?
L’amour nous étreint puis s’enfuit, certains décident de se quitter.
Qui sont ces parents qui vivent encore ensemble ?
Saisons adolescentes, saisons des questionnements, saison des élans sincères, saisons des effondrements, saison des fascinations.
« La fille restera seule tout le matin, elle multipliera les bains de mer, enchaînera les mouvements de crawl, se mettra parfois sur le dos ; tout en restant à distance, je m’approcherai, je ne pourrai regarder ailleurs, je ne lui parlerai pas, elle ignorera – du moins je le crois – mes yeux d’adolescent fasciné. »

Sébastien Berlendis, Des saisons adolescentes, collection « un endroit où aller », Actes Sud, 2020, 124 pages
https://www.actes-sud.fr/contributeurs/sebastien-berlendis
