
« L’art est ce qui représente l’espoir d’une future destruction des frontières de l’individuation et le pressentiment joyeux de l’unité restaurée… » (Friedrich Nietzsche)
On le sait avec Nietzsche, sans la musique, la vie serait tout simplement insupportable.
Oui, mais pas n’importe quelle musique, pas la « teutonne », qui empêche toute clairvoyance en plongeant les âmes dans le bouillon des passions avilissantes.
Pas Wagner donc – même si le philosophe trouva en lui, enfin, un homme à sa mesure -, mais la profondeur dans la légèreté, soit la musique méditerranéenne, des chœurs antiques à la Carmen de Bizet.
Très bon pianiste, sachant improviser, Nietzsche fut cependant, de l’avis de ses contemporains les plus avisés, un compositeur mineur (écouter ses fugues, Manfred-Meditation, Hymne à l’amitié).
Dans un petit volume passionnant, Nietzche au piano, l’écrivain et dessinateur Frédéric Pajak, auteur notamment du superbe L’immense solitude, avec Friedrich Nietzsche et Cesare Pavese, orphelins sous le ciel de Turin (1999), questionne le besoin de musique d’un penseur hétérodoxe – pas de système, mais des flèches, des aphorismes, des essais en feu -, ne pouvant séparer la philosophie de l’esprit musical.
Nietzsche, ou Dionysos, ou l’Antéchrist, ou le martyre d’un christifié (maux de tête, yeux affreusement douloureux, violentes crises dépressives, folie).
Il aurait pu être pasteur luthérien comme son père, ou mourir en bas âge comme son frère Joseph, il sera musicien.
On se souvient de Jean-Paul Sartre au piano (lire François Noudelmann) et de Philippe Sollers au clavier (souvenir personnel), qu’on image le petit Friedrich, élève doué, déchiffrant des œuvres symphoniques.
La musique élève – ou soulage – l’âme, sinon, c’est une glu, un pathos, une écœurante compromission.
Nietzsche a vingt-quatre ans quand il rencontre Wagner pour la première fois, mais le coup de foudre se transformera, comme l’on sait, dans un geste d’écriture parricide, en haine de ce que représente la compositeur schopenhauerien : le charme délétère du nihilisme savamment orchestré, un totalitarisme sentimental infect doublé d’un antisémitisme qu’il exècre.
Il sera secrètement amoureux, rappelle Frédéric Pajak, de la compagne de l’auteur des Maîtres chanteurs, Cosima von Bülow, fille de Franz Liszt.
Nietzsche ne veut surtout pas ressusciter les dieux germaniques, mais « rêve d’un retour à une musique originelle, exprimée dans les chœurs sacrés et les chansons populaires ».
Pajak suit Nietzsche de sa maison d’enfance située à Röcken, près de Leipzig, à Sorrente (en compagnie de Malwida von Meysenburg) et Turin, où il sombre dans la démence.
Pour la philosophe, « la musique de la Germanie » est malade, elle porte les germes du dépérissement moral.
Le peuple, malheureusement sali par la vulgarité des temps, est pour lui le seul véritable et unique artiste, descendant d’une longue noblesse d’âme.
La vie de Nietzsche, si grandiose, est poignante.
« J’ai actuellement quarante-trois années derrière moi et je suis exactement aussi seul que je l’ai été enfant. »
On regardera les dessins de douceur noire de Frédéric Pajak pour se persuader aussitôt d’une mélancolie interminable.

Frédéric Pajak, Nietzsche au piano, Les Editions Noir sur Blanc, 2024, 96 pages
https://www.leseditionsnoirsurblanc.fr/auteur/frederic-pajak/
https://www.leseditionsnoirsurblanc.fr/catalogue/nietzsche-au-piano/

Pour compléter le voyage, écouter le double CD, reprenant une longue conversation entre Philippe Sollers et Jean-Hugues Larché, intitulé Ecoute de Nietzsche, entretiens réalisés à Paris (bureau de Gallimard) les 4 novembre 2002 et 4 février 2023
Contacter Jean-Hugues Larché : jeanhugueslarche@gmail.com

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