Mélinée et Missak Manouchian, vivre à en mourir

Un exemple de résistance arménienne : Van,1915. D’après les souvenirs de Garabed, le frère aîné de Missak Manouchian, leur père Kévork aurait rejoint un mouvement d’autodéfense arménien à Ourfa au début des déportations et y trouva la mort. Le 20 avril 1915, alors que l’armée ottomane en retraite du front caucasien massacre les villages aux alentours de Van et assiège cette ancienne capitale de l’Arménie, une résistance s’y organise dans la citadelle. Les Arméniens seront sauvés par l’avancée de l’armée russe. Le gouvernement jeune-turc présentera cela comme la preuve de leur «trahison» © Collection Nadia Gortzounian

Sous-titré « Missak et Mélinée Manouchian, deux orphelins du génocide des Arméniens engagés dans la Résistance française », l’ouvrage mémoriel Manouchian, publié par les éditions Textuel, comporte de nombreux documents précieux – plus de deux cents images.

Alors que le gouvernement actuel cherche à faire passer des lois scélérates contre les étrangers, la République honore le destin et l’engagement envers les valeurs de notre pays de deux résistants communistes réfugiés en France en 1915, orphelins rescapés du génocide perpétré contre leur peuple.

Publié à l’occasion de l’entrée au Panthéon du combattant du groupe armé très actif des FTP-MOI de la région parisienne, et de son épouse Mélinée – ils se rencontrèrent dans le Paris du Front populaire -, Manouchian célèbre, quatre-vingts ans après l’exécution par la Gestapo au Mont-Valérien, le 21 février 1944, de vingt-deux camarades de lutte (une femme, Golda Bancic, juive roumaine, sera par la suite décapitée en Allemagne), le courage de défendre sans faiblir la liberté, au nom de tous.

Le tiers de ces martyrs était polonais, leur nom est à peu près imprononçable (Louis Aragon), ils font la fierté de la France.

Missak Manouchian dans l’armée française. Le 2 septembre 1939, alors que la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne qui a lancé ses troupes contre la Pologne la veille, Missak Manouchian est arrêté. Il est doublement suspect, comme étranger et comme communiste, surtout depuis la signature du Pacte germano-soviétique. II est finalement libéré début octobre et rejoint l’armée conformément à la loi d’avril 1939 sur la mobilisation des réfugiés et apatrides. Cela correspondait semble-t-il à ses souhaits puisqu’on trouvera dans son dossierd’étranger un «certificat d’aptitude physique au service militaire pour naturalisation » en date du18 décembre 1933, accompagnant sa première demande de naturalisation © Archives Manouchian /Roger-Viollet

Les Nazis les présentèrent, par la propagande de l’Affiche rouge placardée un peu partout dans l’Hexagone, comme des terroristes majeurs, « l’armée du crime » ; ce sont bien au contraire des héros ne recherchant aucune médaille.

La lettre qu’écrivit Missak à Mélinée quelques heures avant sa mort est déchirante : « Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous… » 

Replaçant l’histoire du couple dans le cadre premier de la planification du massacre des Arméniens, l’historienne Claire Mouradian écrit : « C’est un génocide des temps modernes, perpétré par un parti-Etat dictatorial au nom d’idéologies d’exclusion (darwinisme social, panturquisme), mettant à profit le contexte de conflit mondial. Tout l’appareil étatique est mobilisé pour organiser l’extermination et la spoliation, pour procéder à la destruction ou la réappropriation des églises et des monastères, témoins de l’antique présence arménienne dans le paysage anatolien, pour mettre en œuvre le camouflage des massacres, minorer leur bilan, nier ou justifier les faits par une prétendue « trahison » arménienne (…) Le nombre des victimes se situe entre 1,2 et 1,5 millions de morts, soit les deux tiers de la population arménienne. »

Privés de leurs parents, Missak et Mélinée furent accueillis en France, ce grand pays pour lequel on se bat, hérissé aujourd’hui de haine et de vilénie.

Photographie de Mélinée Assadourian prise dans les années 1930 par le photographe arménien Hrand © Archives Manouchian /Roger-Viollet

Pour ces prolétaires, ces déracinés, ces révoltés, le communisme sera plus qu’un horizon, le nom d’une famille, tous deux étant bientôt des figures de proue de la mouvance communiste arménienne en France.  

Dans son texte intitulé « Vivre à en mourir », retraçant la période 1939-1944 du couple, Denis Peschanski évoque leur engagement dans la lutte armée, Missak prenant en 1942 la responsabilité du groupe arménien MOI (Main d’œuvre immigrée) en région parisienne.

Les actions ont une portée éminemment stratégique et politique, le colonel SS Julius Ritter, responsable du STO en France, étant liquidé dans la rue le 28 septembre 1943 – le chef militaire des FTPF est alors Joseph Epstein, ancien brigadiste de la guerre d’Espagne rompu au combat.

Mais les réseaux parisiens seront décimés, les rapports de force étant inégaux.

Manouchian et ses compagnons sont arrêtés, puis condamnés à mort.

« Les Allemands, analyse l’historien, veulent faire du procès une arme de propagande antisémite, xénophobe et anticommuniste. En dénonçant la place des Juifs, des étrangers et des bolcheviques dans la Résistance, les Allemands pensent la discréditer. »

Mais la campagne de dénigrement se retourne contre l’Occupant, ridicule dans ses méthodes infâmes.

© ECPAD, don de l’association Franz Stock/Les Amis de Franz Stock

On peut voir à la fin de l’ouvrage une photographie douloureuse prise clandestinement par Clemens Rüther, sous-officier de l’armée allemande mais antinazi – les trois clichés pris par cet homme chargé du transfert des condamnés à mort au Mont-Valérien ne seront révélées au grand public qu’en 2009 grâce à Serge Klarsfeld.

Quatre hommes sont attachés, yeux bandés, mains liées, sur des poteaux de torture alors que les miliaires allemands vont accomplir leur sale besogne.

Il a neigé, les collines froides du bois sont belles, mais tout est atroce.

Au Mont-Valérien, plus de mille résistants furent fusillés entre 1941 et 1944.

A chacun d’en prendre la mesure.

Manouchian, textes de Claire Mouradian, Denis Peschanski et Astrig Atamian, édition et iconographie David Lestringant, fabrication Laurence Gibert, Editions Textuel, 2023, 192 pages

Entrée au Panthéon accompagné de Mélinée le 21 février 2024

https://www.editionstextuel.com/

© Musée de la Résistance nationale à Champigny-sur-Marne (AAMRN)

https://www.leslibraires.fr/livre/22874637-manouchian-missak-et-melinee-manouchian-deux–denis-peschanski-claire-mouradian-astrig-atamian-textuel?affiliate=intervalle

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Merci Fabien Ribery pour ce beau texte.

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