A Sainte-Hélène, par Marcel Fortini, photographe

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©Marcel Fortini

« Cheminant sur des routes étroites et sinueuses, je suis resté volontairement dans les limites géographiques qui étaient autorisées à  Napoléon lors de ses sorties promenades pour faire corps avec mon projet, à quelques exceptions près dictées par l’envie de découvrir d’autres parties de l’île. » (Marcel Fortini)

Qui connaît Sainte-Hélène en dehors de légende napoléonienne avec laquelle l’île lointaine, perdue au milieu de l’Atlantique Sud, tend à se confondre entièrement ?

©Marcel Fortini

Avez-vous lu comme Marcel Fortini, îlien lui aussi (Corse), le beau roman de Jean-Paul Kauffmann, La chambre noire de Longwood (La Table Ronde, 1997), donnant des envies de poudre d’escampette ?

Déporté par les Anglais après la défaite de Waterloo, Napoléon y vivra près de six ans (octobre 1815-mai 1821), tentant de rester dans les difficultés l’homme glorieux qu’il avait été.

A-t-il été empoisonné à l’arsenic ? Est-il mort d’un ulcère cancéreux à l’estomac ?

D’abord de la mélancolie, tend à penser l’écrivain ayant le goût des voyages et des enquêtes.

©Marcel Fortini

On ne s’échappe pas du rocher d’exil, on s’y ennuie, on y pêche au pied des falaises, on y fraternise, si l’on peut, on y meurt – l’empereur y fut d’abord inhumé avant de rejoindre les Invalides, à Paris.

Peu d’habitants, descendants d’aventuriers, d’esclaves, d’employés britanniques et de commerçants chinois, un paysage sublime mais âpre, des pierres volcaniques et des luxuriances végétales.

C’est ainsi qu’a rencontré Sainte-Hélène le directeur/fondateur du centre méditerranéen de la photographie de Bastia, dont le regard en noir et blanc s’attachant aux paysages naturels ou semi-urbains observe les formes, les lignes graphiques, la façon dont l’humain a pu y inventer sa vie.

©Marcel Fortini

Sous couverture entoilée aux très belles nuances de gris – on pense au superbe In Corsica, d’André Kertész, publié en 2022 par Trans Photographic Press, éditeur des derniers livres de Marcel Fortini – Sainte-Hélène offre une vision authentique (Michel Dancoisne-Martineau, Consul honoraire de France sur l’île depuis 1985) d’un territoire parfois artificiellement magnifié par les reporters cherchant l’épate ou la spectacularisation.

Il y a du Bernard Plossu chez Marcel Fortini, ou du Marcel Fortini chez Bernard Plossu, c’est-à-dire un refus de la grandiloquence, un sens aigu du détail, et une façon de relever, discrètement, le magico-existentiel dans le plus quotidien.

Le spectateur découvre une île aux vallées vertigineuses, les signes d’un monde né de poussées telluriques profondes, un horizon blanc faisant se confondre la mer et le ciel dans une totalité évoquant un espace à la fois géophysique et spirituel – cosa mentale, disait Leonard de Vinci.

©Marcel Fortini

Les cactus étiques poussant sur le faîte d’une colline semblent des soldats suppliciés sur un champ de bataille, ou quelques êtres asphyxiés témoignant de leurs derniers mouvements.

Les terres sont peu clôturées, évoquant davantage une totalité de destins qu’une logique de petits propriétaires.

Sommes-nous en Irlande ou près de l’Angola, dans un val anglais ou dans l’Etat de Virginie, dans un village de l’Alta Rocca ou dans une Islande touchée par le réchauffement climatique ?

On est étrangement bien ici, qui fut pourtant un lieu de relégation, on peut prendre le temps de vivre, de regarder, de se parler, de photographier, d’écrire.

©Marcel Fortini

A la toute fin de son ouvrage, Marcel Fortini s’analyse : « Ce voyage à Sainte-Hélène fut une expérience humaine propice à des moments d’introspection. Malgré le fait que je sois insulaire, j’ai éprouvé ici ce que pouvait être une réelle sensation d’isolement. La solitude vécue sur ce territoire de l’outre-mer britannique fut peuplée d’interrogations sur le quotidien des Héléniens, mais aussi et surtout de réflexions sur le temps, celui qui reste à vivre dans l’inquiétude de l’usage qu’on en fait. »

Une inquiétude oui, mais Sainte-Hélène est un livre apaisé, apaisant, comme si l’on abordait doucement les rives de l’autre monde.

Marcel Fortini, Sainte-Hélène, préface de Michel Dancoisne-Martineau, texte (français/corse) de Marcel Fortini, éditions Trans Photographic Press, 2024, 72 pages

https://www.transphotographic.com/actualites/

https://www.leslibraires.fr/livre/23323975-sainte-helene-atlantique-sud-marcel-fortini–trans-photographic-press

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