
« Et tout à coup dans le lointain, à l’endroit du ciel où s’érige une grande fuligineuse, comme un dieu des mers naissant du chaos de l’écume et du blanc bouillonnant, au sommet de l’instable, altière, périlleuse et vertigineuse crête prête à basculer, pointe une obscure silhouette, la tête d’un homme. Aussitôt le voilà qui surgit tout entier du blanc déferlant. Ses épaules noires, sa poitrine, ses reins, ses jambes – tout se projette et s’offre à la vue brusquement. »
Voici un livre inattendu et réjouissant : Les joies du surf, ou la pratique d’un sport de rois, découvert en 1907, à la faveur d’une escale à Waikiki-Honolulu (Hawaï), par Jack London (1876-1916) et son épouse Charmian Kittredge London, de quatre ans son aînée, alors qu’ils voyageaient tous deux à bord du célèbre Snark, voilier avec lequel le couple aventureux – libre et socialiste – avait choisi de faire le tour du monde.
London décrit les eaux turquoise, merveilleuses et cristallines, valorise le bronzage, a le culte du corps sensible et viril, c’est un homme moderne.
Méprisé par les missionnaires calvinistes – ce sport est trop nu, trop jouissif, trop fou -, le surf est un jeu supérieur avec les vagues, sensuel, érotique, qui exalte London.
Présentant toutes les qualités du meilleur journalisme littéraire, l’article de l’auteur américain n’est pas loin quelquefois d’un traité zen : pour bien surfer, il convient avant tout de faire le repos en soi, de ne surtout pas résister aux vagues, de les accueillir avec souplesse, abandon, humilité.
Il ne faut pas batailler comme les monstres tourbillonnants, mais, Mercure au pieds noirs, chercher un équilibre gracieux, être un roi naturel.
On peut penser à Edgar Morin découvrant les joies de la Côte Ouest en ses corps émancipés (Journal de Californie, 1970) et à Gilles Deleuze lisant Leibnitz dans ses plis.
Mais, se demande l’écrivain, qu’est-ce qu’une vague ? « Une vague, c’est la communication d’une agitation. L’eau qui compose le corps d’une vague n’avance pas. »
Très précis, l’article est un véritable manuel d’apprentissage : bien choisir sa planche, comprendre la « poussée » de la mer, savoir se tenir, observer avec calme une déferlante.
Persévérant, opiniâtre, obstiné, obsédé, Jack London veut progresser, demande conseil (au globe-trotter de profession Alexander Hume Ford), apprend comment se tenir sur la dangereux bout de bois avec lequel il fera corps, essaie sans discontinuer, restant dans l’eau des heures, au risque d’en ressortir la peau impitoyablement brûlée (lire en fin de volume le très beau récit de sa femme amoureuse, Notre Hawaï).
London veut triompher, il fait de sa victoire un défi de la plus haute importance, il y parvient.
Le voici soudain frère de Mirbeau et Gandhi : « Prendre la vague et combattre la vague, je l’ai appris, est un art de la non-résistance. Esquivez le coup que la mer vous porte. Plongez sous la vague qui espère vous gifler. Laissez-vous couler tout droit, les pieds en premier, loin sous la surface de l’eau, et laisssez la grande fuligineuse qui espère vous broyer passer largement au-dessus de vous. Ne luttez pas. Détendez-vous. Abandonnez-vous à l’eau qui vous déchire et vous écartèle. »

Jack et Charmian London, Les joies du surf, suivi de Notre Hawaï, traduction de l’anglais (Etats-Unis) et préface de Fanny Quément, collection Petite Bibliothèque dirigée par Lidia Breda, Rivages poche, 2024, 80 pages
https://www.payot-rivages.fr/rivages/livre/les-joies-du-surf-9782743662523
