La révolution de la douceur, par Anaïs Prouzet, peintre

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 ©Anaïs Prouzet

« Je me suis mariée le 11 septembre 2021. Ce jour-là, je portais un voile que j’avais dessiné et fait broder. Emerveillée depuis l’enfance par l’univers de Jacques Demy, j’ai imaginé un voile en tulle de soie avec de la mousseline qui reprend les couleurs pastel des Demoiselles de Rochefort et l’éclat des robes de Peau d’Ane. Il n’y a pas de hasard, j’ai écouté des dizaines de fois les B.O. de Michel Legrand en peignant ce tableau. » (Anaïs Prouzet)

Y a-t-il plus grande révolution que celle de la douceur ?

Anaïs Prouzet peint des étreintes, des embrassements, des baisers, qui sont aussi paradoxalement des craintes d’abandon.

 ©Anaïs Prouzet

En dessinant finement le visage de ses proches, l’artiste les retient et les soustrait aux avanies du temps.

Cette bouche, ces yeux, ce nez ont été aimés, vous saurez pour longtemps maintenant qu’il est possible de ne pas se quitter.

 ©Anaïs Prouzet

Les yeux sont clos, les cheveux se mêlent, les tissus et les peaux se touchent.

Anaïs Prouzet observe attentivement les mains, la tension ou la détente des doigts, leur réseau de veines et veinules, leur carnation, la ligne des ongles.

L’émotion, c’est d’abord une main qui en rencontre une autre, et qui soutient, un crâne, une joue, un poignet.

C’est aussi celle de qui peint la rencontre, dans la hantise de la disparition.

 ©Anaïs Prouzet

S’étreint-on pour la première ou la dernière fois ?

Ces lèvres abouchées auraient-elles peur de prononcer des paroles définitives ?

Ce halo de flou duquel émergent les amants, les amis, les parents, est-il nimbe de protection ou menace d’un engloutissement dans l’informe ?

Pensées comme des memento mori, les œuvres d’Anaïs Prouzet sont aussi des ex-voto, gestes propitiatoires, vérité des sentiments jetés dans l’ordre du faux et du chaos social.     

 ©Anaïs Prouzet

Ce sont des manifestes sans tonitruance envers la pudeur et la délicatesse des liens.

Mais ces déclarations intimes sont aussi une ode à la peinture à l’huile, à la façon de la poser et de la faire reposer sur la toile, à son processus d’apparition.

Initiée en 2019 à la peinture dans l’atelier berlinois d’Axel Pahlavi et Florence Obrecht, l’artiste, qui travaillait jusqu’alors au fusain, a découvert la volupté d’une matière et d’une technique lui permettant d’aborder les mystères de la lumière.

Quelqu’un se bande les yeux, quelqu’un chute sans tomber, quelqu’un serre nos poitrines.

Les titres des œuvres forment les fragments d’un poème, paroles d’un song résonnant dans la tête : Entends-tu ? Rien ne peut te dépasser / Aujourd’hui n’arrive qu’une fois / Avant il n’y avait pas de question / Dites-moi ce que je ne veux pas savoir / Maxima / Le laisser dans l’univers j’peux pas faire ça / Mériter son ciel / Encore un peu à moi / Entends-tu ? Rien ne peut te dépasser / Et puis, plus rien : Swann / Et puis plus rien : Léa / Attendre chaque jour d’être hier / Dites-moi ce que je ne veux pas savoir / Je te regarde mais je n’ai pas les mêmes yeux / L’Enfer est pavé de bonnes intentions / Pas très loin pourvu qu’il existe / Nous fûmes tant de jours heureux

On remarque quelques éléments issus de notre plus proche contemporanéité, des baskets à scratch, un tee-shirt où l’on devine un motif de monstre, une salopette, mais tout est ailleurs, dans un Eden, comme sauvé.

 ©Anaïs Prouzet

Pouvant être considéré comme un tableau d’autel, Mériter son ciel (2023), dont la composition complexe est tripartite, semble une apothéose structurée par les ailes verticales d’un ange où se reflète le spectacle, à la fois serein et de noble gravité, de notre façon de nous tenir dans le monde, entre la mort et la vie.

Les visages sont souvent penchés, l’humilité est le début de l’éthique.

Il est beau de lire – à la toute fin du catalogue Déclarations – les influences que revendique l’artiste (liste non exhaustive) : des peintres (Edouard Manet, Andrea Mantegna, Salvador Dali, Edvard Munch, Francesco Hayez, Hans Memling, Pierre Bonnard, Axel Pahlavi, Paul Cox), des cinéastes (Jacques Demy, Jean Cocteau, Agnès Varda, David Fincher), un photographe (Philippe Halsman), des musiciens/chanteurs (Orelsan, Chili Gonzales, Hans Zimmer), un écrivain (Francis Scott Fitzgerald).

 ©Anaïs Prouzet

On ne peint pas seule, mais avec l’histoire de l’art.  

On se rassemble, on crée ensemble de la lumière, on se donne notre fragilité.

Voilà ce qu’offre la peinture d’Anaïs Prouzet, un supplément de souffle pour mieux respirer et tenir dans son être dans l’air vicié de l’époque.  

Anaïs Prouzet, Déclarations, Atelier Shakers (Montluçon), 2023

http://www.anaisprouzet.fr/

 ©Anaïs Prouzet

Anaïs Prouzet est représentée par la galerie Olivier Waltman (Paris, Miami) 

https://galeriewaltman.com/anais-prouzet

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