L’œil écoute, l’oreille voit, par Jean-Guy Coulange, artiste multidisciplinaire

Île de Groix, Pen Men ©Jean-Guy Coulange

« Tout commence par un bruit. Toujours. Je ne vais pas faire l’inventaire des bruits de mon enfance. Par exemple, le bruit des voitures, du balcon du troisième étage du boulevard Flammarion à Marseille. Deviner le son de la 403, la Dauphine, la 4L ou l’Ami 6. Et puis tapoter, bien avant la musique. Tapoter sur tout, table, chaise, ventre, cuisse, rambarde du balcon du troisième étage. Les bruits des vacances, train, camping, ruisseaux, forêts. La ville, je ne l’entends plus. Mais les machines. La rumeur, les chuintements, les borborygmes, les voix. La radio. »

Chez Jean-Guy Coulange, tout est voyage, déplacement, dérive.

Adepte des carnets sonores, comme d’autres notent leurs impressions et pensées dans des journaux, Jean-Guy Coulange déploie un art relevant de l’enchantement envers la matière et la texture, plurielle, du monde.

Son dernier opus, Tout commence par un bruit, est un ensemble de situations sonores et visuelles prélevées par un chercheur ayant notamment beaucoup travaillé pour RTS Le Labo avec la complicité de son ami David Collin, prématurément décédé en septembre 2020.

On se souvient peut-être des essais sonores – consulter son site – Portsall (2011), Aran, une île en hiver (2015), Fleuve Rance (2017) et Route Finistère Sud (2019).

Nous sommes ici au large de Saint-Malo, à Cuba, en Turquie, en Guadeloupe, sur l’île de Groix, mais aussi avec l’écrivain Pierre Bergounioux, interrogé dans la compagnie des oiseaux qu’il aime tant, et Nicolas Crosse, maître de la contrebasse.

Au commencement était la solitude, et les sens aux aguets, puis les rencontres, du vent cognant la bonnette, de la musique de la rue, des voix humaines.

S’il capte des sons, Jean-Guy Coulange s’adonne aussi à la photographie, au dessin, à la peinture, sans hiérarchiser les pratiques, mais comme une façon d’aborder une même réalité par la richesse des points de vue associés.

Il y a la longue route de sable, de Pier Paolo Pasolini, et il y a la longue route de sonore de l’auteur de Je descends la rue de Siam (Hippocampe éditions, 2016).

Comme l’ensemble de l’œuvre de Jean-Guy Coulange, Tout commence par un bruit est un livre de montage, de passages, comme un vaste microsillon absorbant les vibrations et les mots autour de lui.

L’auteur y expose sa poétique (la quête du Graal du son), pleine de mystères : « J’aime enregistrer les gens. Je leur di que quand j’appuie sur le bouton record, il va se passer quelque chose. Ils me regardent, intrigués. Je ne sais pas comment expliquer mais je vous assure qu’il se passe quelque chose. »  

Le son s’enregistre, mais il s’écrit aussi, dans la contenance d’un espace circonscrit, par exemple sur l’île d’Amorgos, ou à Groix.

Jean-Guy Coulange est-il un insulaire ? Assurément.

« Je branche le micro, ne cherche pas le renseignement, l’information. Je demande juste aux gens de faire voix – de me porter parole ? de me traduire ? – Je leur demande peut-être d’être moi. De me questionner en répondant à mes questions – me tendre un miroir ? me montrer le chemin ? m’aider ? »

Le son se souvient, il est plein d’autres sons, comme les images, forcément enceintes d’autres images.

Avec Pierre Bergounioux le Corrézien, c’est une évidence de présence. Que faire ? Rien, s’écouter, s’arrêter, entrer dans la magie d’une « conver-son ».

Une embarcation à moteur, le chant des oiseaux, le clapotis de l’eau, une voix humaine. Nous sommes en Guadeloupe, on lit en fermant les yeux pour entendre.

« Autour de nous, précise l’auteur, tout est rose-vert. »

On songe quelquefois aux Carnets nomades de Colette Fellous, où le son en tant que tel était là aussi un protagoniste.

A Saint-Malo où il réside souvent, Jean-Guy Coulange se lève tôt : c’est le poème de la mer, que captera peut-être le micro.

« Quelle micro-révolution dans la période d’une vague, la sinusoïde entière ? »

Jean-Guy Coulange, Tout commence par un bruit, conception graphique Alain Coulange, 2024, 86 pages

Distribution Les Presses du Réel

https://www.jgcoulange.com/

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