Passer le Fort de Saint-Cyr au calotype, par Martin Becka, photographe

©Martin Becka

Fruit d’une commande la Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie (MPP) située à Montigny-le-Bretonneux, au cœur de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, lieu quasiment dérobé au regard où l’on conserve depuis 1983 les incunables du patrimoine depuis l’origine de la photographie et les fonds de nombreux artistes (plus de six cents, dont des contemporains), Le Fort de Saint-Cyr est un ouvrage superbe de Martin Becka publié par Trans Photographic Press.

Se présentant sous couverture toilée imprimée et marquée à chaud, Le Fort de Saint-Cyr, colligeant des images reproduites au format réel sur des papiers proches des originaux, est bien plus qu’un livre documentaire, c’est une œuvre de recherche sur la matière même de la photographie et les techniques anciennes de tirages.

©Martin Becka

Spécialiste des procédés pionniers de la photographie, notamment le négatif papier ciré sec tel qu’employé par Gustave Le Gray, Martin Becka, né en République tchèque, a réalisé des images à la chambre 20×25 cm, sur négatif papier vergé de faible grammage, les images positives au palladium étant imprimées en bichromie et celles rehaussées du procédé à la gomme bichromatée en quadrichromie.

« Une histoire en appelant une autre, explique dans une préface des plus explicites Anne Cook, chargée d’études documentaires au fort, le négatif papier ciré offre un fabuleux terrain de jeu à l’imaginaire du photographe. A rebours d’une vie de photoreporter où prévalent la technologie des appareils, la rapidité des prises de vues et des transmissions et la masse d’images produites, Martin Becka éprouve tôt le besoin de retrouver les défis des pionniers, le savoir-faire de l’artisan, le temps long de la fabrication de l’image, sa matérialité et sa rareté. L’objet-même enchante. Il y a d’abord sa matière, la texture et la simplicité du papier à dessin, sa préparation qui requiert une « soupe chimique » soigneusement dosée : produits inchangés depuis le 19e siècle, sels d’argent, lactosérum, sucre de lait, cire, iodure. Viennent ensuite son aspect, tout en transparence et teintes chaleureuses, puis son esthétique déconcertante, cette inversion de la latéralité et des valeurs d’ombre et de lumière qui engage à rentrer dans l’image pour faire la part du vrai et du faux, comprendre ce qu’on voit autant que ce qu’on ne voit pas, tout considérer d’un œil neuf. »

©Martin Becka

Œuvre d’architecture militaire remarquable, le Fort de Saint-Cyr apparaît d’abord à l’envers dans l’œil de la chambre.  

La pierre se dissout dans les grains de chimie, les apparitions sont de l’ordre de la merveille de la réappropriation des techniques anciennes.

Le temps est un escalier jonché de feuilles mortes, des pierres se disjoignent, la mousse adoucit l’édifice de défense.

Il y a du secret ici, des salles que nous ne verrons pas, la protection d’une mémoire visuelle des plus précieuses pour notre pays.

©Martin Becka

On pense bunker, on pense guerre, et l’on pense parallèlement trésor des archives, protection de l’Etat, transmission.

Remarquons, pour terminer cette présentation, la qualité des papiers choisis – la feuille est parfois translucide afin d’évoquer l’aspect des négatifs – tout concourant à rapprocher cet ouvrage du façonnage extrêmement soigné du livre d’artiste.

Martin Becka, Le Fort de Saint-Cyr, textes Anne Cook, Gilles Désiré dit Gosset, conception éditoriale Dominique Gaessler, Martin Becka, Trans Photographic Press, 2024, 100 pages – 750 exemplaires

©Martin Becka

https://www.martin-becka.com/

https://www.transphotographic.com/produit/fort-de-saint-cyr-de-martin-becka/

©Martin Becka

https://mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr/

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