Tristan da Cunha, attraction d’une île atlantique, par Richard Pak, photographe

©Richard Pak

Faisant partie du cycle « Les îles du désir », La Firme, de Richard Pak, est un livre consacré à Tristan da Cunha, île britannique peu connue et très isolée située dans l’océan Atlantique, à quelque 2800 kilomètres de l’Afrique du Sud.

Il est difficile d’y accoster, y vivre n’est pas chose aisée, en partir est un défi.

Ce territoire insulaire découvert au XVIe siècle par un marin portugais est cependant fascinant, pour la beauté de ses paysages, la façon dont les habitants y mènent leur existence (pêche, chasse au mouton, passages au pub), la structure patriarcale et d’entraide y subsistant.

©Richard Pak

Publié par Atelier EXB, La Firme commence par un journal de voyage de l’auteur, tenu depuis son embarquement jusqu’à son retour.

« En lisant les notes de voyage de Richard Pak, précise Michel Poivert, qui le commente, nous sommes entraînés dans une aventure rugueuse comme dans une nouvelle de Raymond Carver, sans détails autres que ceux qui collent au corps. Le photographe s’invente en antihéros, démocrate d’un monde déchu en quête d’un joyau archéologique préservé du temps présent, un vestige des Lumières, la dernière chance de croire au contrat social. »

Un antihéros se faisant embaucher pour une journée initiatique comme découpeur de langoustes dans la conserverie locale, véritable forteresse et mine d’or qu’il ne sera pas autorisé à visiter.

©Richard Pak

Sur papier glacé, froid comme le vent fouettant le visage du visiteur français, apparaissent en couleur un quai difficile d’accès, des amas rocheux, la forme d’un volcan en activité culminant à 2000 mètres d’altitude, des landes d’un vert d’enluminure où se cachent quelques fermes ou cabanons, des manchots placidement curieux.

Nous sommes dans l’un de ces confins qu’aurait adoré découvrir Kenneth White, un champ énergétique premier, la possibilité d’une utopie.

Que fait-on en cette île entourée de falaises ?

Comment ne pas succomber à la mélancolie ?

©Richard Pak

L’étymologie du nom Tristan – on pense à ce triste enfant de la légende médiévale, orphelin de père et de mère, tombé amoureux sous l’effet d’un philtre d’amour qui ne lui était pas destiné de la blonde Iseut – marque-t-elle à tout jamais le sentiment général que l’on peut éprouver en ne quittant pas cette île ?

Est-ce pour cela que l’on y boit tant, que l’obésité y progresse, et que l’on n’y fait plus assez d’enfants ?

Les Tristanais, nous révèlent l’artiste, parlent très lentement.

C’est ainsi qu’il faut regarder le bel ouvrage du voyageur, en prenant le temps, en s’imaginant élément du paysage, en frissonnant.

Tristan da Cunha compte un peu moins de 250 habitants, certains apparaissent, en portrait, seuls ou en groupe.

Il faut ici, pour affronter la puissance des éléments, du courage, de la force psychique, et de l’humilité.

On peut s’y sentir en exil, oublié de tous, l’autre, le voisin, étant la condition de la survie.

On pense au sillon de Sainte-Hélène, île toute proche, à plus de 2400 kilomètres.

Bleu de travail, sang des bêtes, trognes dures.

©Richard Pak

En son corpus serré d’images se faisant échos, Richard Pak nous l’affirme : cette île est une entité totale, aussi somptueuse que pouvant être effrayante, c’est elle qui dicte sa loi, non les quelques âmes humaines qui la peuplent.

« A travers l’attraction, la fascination pour sa géographie et son histoire mêlées, c’est toute une vision du monde portée par l’empire britannique et son héritage qui se joue, et rejoue, analyse dans son texte superbe et presque étrange Marie Redon : l’île fonctionne comme un traquenard mental, cachant la mise en récit de son colonisateur. La sur-insularité serait donc dans l’éthos géographique britannique qu’incarne ô combien cette île, et d’autant plus avec l’épisode de 1961 [irruption du volcan] qui démontre avec force que ses citoyens ne sont pas victimes de l’insularité mais, au contraire, des acteurs consentants. »

Richard Pak, La Firme, textes de Michel Poivert et Marie Redon, édition Jordan Alves, design graphique François Dézafit, fabrication Charlotte Debiolles et François Santerre, Atelier EXB, 2024, 98 pages