Interroger l’âme des morts, par Inuuteq Storch, photographe

©Inuuteq Storch

Peut-on lire l’avenir dans un livre de photographie ?

Peut-il y avoir une pratique nécromantique du livre d’art ?

Comment accéder à la parole des morts ?

Il n’est pas impossible que Necromancer, du mage noir Inuuteq Storch, représentant du Danemark à la Biennale de Venise 2024, ne fasse revenir les défunts pour les interroger sur les grandes lignes de notre destin.

©Inuuteq Storch

Se présentant comme un astre carboné, goudronné, enténébré, le livre du photographe groenlandais, dont l’odeur d’encre entête, est un acte conçu pour faire basculer la raison.

Il faut laisser agir ses sombres mystères, entrer soi-même dans une zone intermédiaire qu’on pourrait identifier aux territoires séparant les ombres des êtres de chair.

On s’avance jusqu’à l’extrémité d’une digue, d’un ponton, d’un môle, et l’on chute dans un autre monde.

Une pandémie pandémoniaque mondiale vient de passer, a lieu, arrive, nous renvoyant à notre solitude, à nos errances, à nos hantises, à nos impensés.

©Inuuteq Storch

L’air est contaminé, on se méfie de tout ; pourtant, tout est si beau, encore, dehors.

En des images au noir & blanc très contrasté, donnant la sensation d’être des rescapées – grain perceptible, comme une pluie d’atomes irradiés -, Necromancer est une marche dans le silence d’une nuit interminable.

La neige a figé le paysage, on attend, on perd sa substance, la beauté et la chaleur d’un compagnon ou d’une compagne est à la fois le début et la fin de l’humanité.

Au bord de l’effacement, les photographies de cet ouvrage témoignent de la persistance de la vie en ses formes graphiques.

©Inuuteq Storch

Tout semble englouti par le mal, ou sur le point de l’être, la glaciation du cœur se heurtant au visage d’un-e aimé-e.

Il faut prier, mais qui ? quoi ? comment ?

Les communications sont rompues, il faut réinventer sous l’œil de Nosferatu des chemins plus subtils pour ne toujours pas se comprendre.

La neurasthénie menace, le sol craque soudain, se fend, nous aspire.

©Inuuteq Storch

On dort beaucoup, on fait un peu l’amour, peut-être, on aboie, on miaule, on danse sur un volcan de glace pilée en rêvant d’être un quadrupède.

Necromancer n’est pas un livre facile, qui en sait plus que nous-même sur la survie, le malaise et la déréliction en milieu somptueusement hostile.

On regarde ses doigts, ils sont noirs, on est initié par le négatif, il faut désormais traverser notre sang.

Satan vous tente, tendez-lui un miroir.

Inuuteq Storch, Necromancer, graphic design Spine Studio, editors Finn Wergel Dahlgren, Jacob Haagen Birch, Marrow Press, 2024

https://marrow-press.com/publications/Necromancer

https://www.inuuteqstorch.com/

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