
©Dimitri de Larocque Latour
« En Ecosse, le ciel est plus amical qu’en France : il descend. Les nuages viennent nous cueillir, à moins que nous y montions. Quand le brouillard se dénoue un peu, on croit voir des alliances se rompre et d’autres se former. L’Ecosse est un désir : ce que l’on tracte en nous de sombre s’envisage dans le moindre craig [pic escarpé], se libère dans le moindre burn [ruisseau]. Le soleil brume sa lumière et ne dépayse pas les yeux intérieurs : ceux-là suivent les morts du regard, depuis les bosquets de myrtes jusqu’aux pommiers d’Avallon… Une force inquiète double nos pas… On revient de ce voyage non pas toujours voyant, à l’instar de Merlin, mais possédé par une mélancolie inaltérable. L’Ecosse, terre de la fée Mélusine, est un bain révélateur ; et comme tout ce qui est sombre et retient la chaleur, on aimerait y rester toujours. » (Dimitri de Larocque Latour)

©Dimitri de Larocque Latour
On ne sait pas vraiment où se cache Merlin.
Il réside encore probablement en Ecosse, ou dans les pages d’un livre attentif aux espaces naturels pouvant l’abriter.
Merlin vit dans l’invisible, qui est aussi le domaine secret de la photographie, Dimitri de Larocque Latour proposant dans Ecosse fantastique la possible rencontre du mage et des paysages incroyablement expressifs du pays des Calédoniens, peuple si étrange que l’empereur Hadrien fit ériger un mur pour ne avoir à le côtoyer, et l’affronter.

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En lisant cet ouvrage, j’ai pensé aux dernières lignes de l’introduction du livre Ecosse, d’Erwan Quéméré (Arthaud, 1984).
Kenneth White y écrit ceci : « Là, des forces broyées par l’Histoire, déformées par la culture, restent inchangées. Le lieu des énergies intactes, le lieu où l’homme, l’esprit concentré et les sens aigus, l’attention pleinement éveillée, se réalise, c’est cela qu’en Celtie on appelle « le monde blanc » (finn mag). Dans ce pays d’Ecosse, dans ce pays d’Alba, en grande partie vierge encore, ou redevenu vierge grâce aux convulsions de l’Histoire, on a parfois l’impression qu’un passé très archaïque, un temps premier, peut surgir à chaque tournant de la route. On peut même avoir l’impression, au milieu de certaines landes, sur certaines îles, en marchant le long de certains rivages, d’être remonté si loin dans le passé que l’on a en quelque sorte converti le temps en espace. Evoluer dans cet espace-temps-là est la suprême jouissance. »

©Dimitri de Larocque Latour
Cet espace-temps-là, où se pressent les légendes, Dimitri de Larocque Latour le connaît si bien qu’il en révèle à chaque page la belle et étonnante âme.
Les arbres se tordent comme des vieillards, les paréidolies sont incessantes, tout regarde, tout épie, tout cherche à communiquer.
Il faut parvenir à abandonner l’idée de maîtrise pour que puisse s’opérer en nous la chance d’une métamorphose.

©Dimitri de Larocque Latour
Accompagnant ses photographies, essentiellement en noir et blanc, de textes très informés, Dimitri de Larocque Latour sait enchanter : Merlin, nous apprend-il, se serait réfugié dans l’Esplumoir, lieu décrit comme une tour sur un roc d’où il pourrait, caché de l’humanité, « prophétiser comme bon lui semble ».
Ecosse fantastique, composé de nombre de nocturnes, est un livre hospitalier, brumes des Highlands, forêts perdues et châteaux en ruine accueillant au suprême quelque chose comme l’esprit de Merlin.
Il s’agit pour l’auteur d’un voyage spirituel.

©Dimitri de Larocque Latour
Des roches moussues, des lumières fantomales, des miroitements.
Eaux vives dans la forêt de type tropical de Dollar Glen, à Clackmannanshire.
Livre mosaïque, Ecosse fantastique se présente comme un échiquier magique détaillant les lieux absolus de la légende arthurienne, le Whistman’s Wood et son atmosphère druidique, le Roche Rock, qui serait l’ermitage d’Ogrin, protecteur de Tristan et Iseult, le château de Craighall – près duquel est né le créateur de Peter Pan – hanté par la dame grise, et tant d’autres territoires superbement évocateurs.
On apprend beaucoup en suivant les visions photographiques et textuelles de Dimitri de Larocque Latour, mais, surtout, l’on ressent beaucoup, en abordant avec lui les espaces représentés comme des champs énergétiques premiers, des lieux de vibrations, des portes ouvrant vers un autre monde, plus vrai, plus riche, plus fondamental.

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Lisons ceci : « De l’Esplumoir, jailliraient plutôt des sorts, et des obsessions. Merlin, en vieil anglais, ne signifie-t-il pas « émerillon » ? L’émerillon est un petit faucon qui n’a pas mué et qu’on affaite. Le néoplatonicien Porphyre, au IIIe siècle, annonce que le faucon peut lire l’avenir. Philippe Walter rapproche le mythe de l’Esplumoir d’un conte d’Afaniassev, La Plume de Finiste le faucon blanc, métamorphose d’un homme-oiseau à partir d’une simple plume blanche. De toute évidence, le mythe de l’homme-oiseau est connu dans beaucoup de civilisations, jusque sur l’île de Pâques. »
A chacun maintenant de fermer les yeux, pour mieux voir, et entendre la chant prophétique de l’émerillon.

Dimitri de Larocque Latour, Ecosse fantastique, L’appel de Merlin, Magellan & Cie, 2024
https://www.larocquelatour.com/

©Dimitri de Larocque Latour
https://www.larocquelatour.com/lappel-de-merlin
https://editions-magellan.com/livres/ecosse-fantastique-lappel-de-merlin/

