
Le Procès de Jeanne d’Arc, Robert Bresson (1962)
« C’est l’échec de Jeanne d’Arc. Les Anglais ont triomphé de Jeanne d’Arc, à la longue. Aujourd’hui, même Gaumont fait tous ses films en anglais. Jeanne d’Arc a perdu. Un des derniers auteurs de la Nouvelle Vague, Jacques Rivette […], a échoué. J’entends commercialement avec Jeanne d’Arc à l’époque où il devait échouer. C’est pourtant un de ses plus grands films. Et il n’est resté qu’en tant qu’art. Mais l’art n’a aucune valeur, l’art ne peut pas marcher. Il n’y a pas un seul bon film qui ait marché. Peut-être un : Naissance d’une nation. » (Jean-Luc Godard)
Un spectre hante la production cinématographique mondiale depuis ses débuts, en France, aux Etats-Unis, en Autriche, en Russie : c’est la figure blême et lumineuse, rayonnante et grave, exaltée et dramatique, de Jeanne d’Arc.

La passion de Jeanne d’Arc, Carl Theodor Dreyer (1928)
Dans un essai brillant, aussi intelligent que partageur, L’attrait de Jeanne d’Arc, Maurice Darmon fait le point sur les multiples représentations de la sainte, notamment françaises.
Jean-Luc Godard pense à elle quand il tourne Vivre sa vie (1962), Anna Karina se rappelant le visage de Renée Falconetti filmée par Dreyer (1928), alors que Robert Bresson fait entendre magistralement la voix inspirée de la jeune sauveuse (1962) et que Jacques Rivette et Bruno Dumont en font l’objet intense de leur désir, lui consacrant chacun deux films (1993/1994 et 2017/2019).

Vivre sa vie, Jean-Luc Godard (1962)
Georges Méliès pensait à elle, qui fut béatifiée en 1908 et canonisée en 1920, Blaise Cendrars chante « l’épatante présence de Jeanne » dans le livre-fleuve-film La Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France (1913), Charles Péguy la réinvente en héraut du socialisme (1897), tandis qu’Arthur Honegger compose, sur un livret de Paul Claudel, Jeanne d’arc au bûcher (1938).
« Même s’il fut longtemps muet, précise le fondateur de la revue de cinéphilie Le Cheval de Troie (quatorze livraisons parues de 1990 à 1996), le cinématographe s’invente autour de Jeanne d’Arc [voir l’apprécié La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc, fille de Lorraine, de Marco de Gastyne, 1929], héroïne de la parole. Avec son vingt-cinquième film de cent quarante minutes, Joan the Woman, Cecil B. DeMille inaugura en 1916 ce qui fera sa gloire : reconstitution scrupuleuse, en l’occurrence du quartier d’Orléans, fondée après Méliès sur le tableau de Lenepveu, ou celle de la cathédrale de Reims ; innombrables figurants, pour les dix minutes de la prise du fort des Tourelles ; mises en espace de groupes, comme les scènes de Jeanne à la question. »
Dreyer et Bresson fondent leurs films sur la minute du procès de la pucelle martyrisée, le premier faisant parler des cartons (175), le second faisant entendre un au-delà.
Florence Delay, qui joue l’Envoyée, se souvient : « Attirant mon attention sur la façon dont Jeanne échappe au piège des questions les plus pernicieuses, Bresson me demanda d’écouter avant de répondre au tribunal, d’écouter à l’intérieur du moi-Jeanne ce que Dieu, mon cœur, mes voix m’en disaient. Comme s’ils dictaient, eux, la réponse, d’où un léger décalage à peine perceptible entre la question et la réponse. Grâce à ce léger décalage, Jeanne, prisonnière comme sont prisonniers tant de héros bressonniens, s’évade vers la vie invisible, son autre vie. »
Quand il tournera Thérèse (1986), Alain Cavalier se rappellera cela.

Joan of Arc, Victor Fleming (1948)
D’une grande splendeur plastique, réalisé en Technicolor trichrome, la Joan of Arc, de Victor Fleming (1948), film peu vu lors de sa sortie mais restauré en 1998 (sortie DVD en 2004), déploie une imagerie très dix-neuvièmiste.
Pas d’épure, mais du grand spectacle, et la présence de l’impressionnante Ingrid Bergman.

Saint Joan, Otto Preminger (1957)
Unique adaptation de la pièce de George Bernard Shaw (1923), Saint Joan, de Preminger, avec Jean Seberg, sort en 1957 – seuls les Cahiers du cinéma semblent alors célébrer ce film -, à un moment où le petit écran s’empare de la courageuse combattante française, Jacques Rivette parlant même pour la Jeanne au bûcher de Roberto Rossellini d’une esthétique de la télévision, soit, dans son esprit, du direct.
Jean Seberg que l’on retrouve bientôt dans A bout de souffle, Godard se mettant à l’écoute de sa voix.
Jeanne qu’on brûla verte, écrivait René Char en 1956.
Jeanne qu’on brûle toujours.

Jeannette, l’enfance de Jeanne, Bruno Dumont (2017)
Mais l’enfant de Domrémy est toujours là – L’attrait de Jeanne d’Arc nous en convainc -, nous attendons qu’elle nous sauve de nouveau de notre perte de souveraineté, qui est d’abord celle de notre royauté intérieure.

Maurice Darmon, L’attrait de Jeanne d’Arc, éditions Yellow Now, 2024, 112 pages
https://www.yellownow.be/cin%C3%A9ma


https://www.leslibraires.fr/livre/24104609-l-attrait-de-jeanne-d-arc-maurice-darmon-yellow-now