L’art du Moyen Âge, par Ernest Renan, écrivain

« Les artistes français du Moyen Âge ont peu de personnalité ; dans cette foule silencieuse de figures sans nom, l’homme de génie et l’ouvrier médiocre se coudoient, à peine différents l’un de l’autre. »

Pour Ernest Renan, le grand art français du Moyen Age se situe au XIème siècle, particulièrement en architecture, alors que se lève l’art roman.

Ce que les Italiens appellent avec un certain dédain art gothique, l’adjectif faisant référence au peuple des Goths de sinistre réputation, devrait être nommé art ogival, ou art de l’ogive.

Il est le fruit, analyse l’écrivain philologue dans un texte intitulé L’Art du Moyen Âge et les causes de sa décadence publié une première fois le 1er juillet 1862 dans la Revue des Deux Mondes, du génie des anonymes lors d’une période de renaissance, et devient selon lui, à force d’afféteries, de surenchère et d’orgueil, synonyme de déclin à partir des XIVème et XVème siècles.

« Chose étrange ! ces deux siècles qui, sous le rapport politique, présentent un sensible progrès, ces deux siècles qui assistent à la sécularisation de l’Etat par Philippe le Bel, à la première proclamation des droits de l’homme, au réveil de la vie mondaine sous les Valois, au premier règne de la bourgeoise patriote et intelligente avec Etienne Marcel, à l’inauguration d’une royauté administrative et dévouée au bien public avec Charles V, à la grande proclamation de la sainteté de la patrie avec Jeanne d’Arc, puis à de prodigieuses découvertes qui changèrent la face du monde, ces deux siècles, dis-je, assistèrent en même temps à la plus triste déchéance du goût, virent mourir tout ce qui avait fait l’âme du Moyen Âge, et semblèrent, en fait d’art, comme les paralytiques de la piscine, attendre la vie d’un souffle nouveau. Ce souffle vint de l’Antiquité, qui, vers la fin du XVème siècle, sortit de son tombeau, au moment juste où elle devenait nécessaire à l’éducation de l’humanité. »    

Les territoires élargis de l’Île-de-France, où les pierres faciles à travailler sont d’excellentes qualité, ont vu fleurir cet art nouveau, notamment dans de simples bourgades et territoires où l’auteur aime se rappeler qu’y bat le cœur de notre pays – le Vexin, le Valois, le Beauvoisis, « une partie de la Champagne, tout le bassin de l’Oise, dans la vraie France enfin, c’est-à-dire dans la région où la dynastie capétienne, cent cinquante ans auparavant, s’était constituée. »  

Eglise Saint-Yved de Braine, église Saint-Etienne de Meaux, église de Saint-Leu d’Esserans, église de Longpont, église d’Agnetz.

Ayant écrit son article à la suite de la découverte de l’Album de Villard de Honnecourt, maître d’œuvre du XIIIème siècle, premier et seul témoignage écrit à propos des savoir-faire de l’art architectural gothique, Ernest Renan célèbre ces édifices religieux polychromes et pleins de grâce évoquant la Jérusalem céleste.

Les églises romanes furent amincies, la voûte fut substituée à la charpente, devenue invisible, les grands arcs aigus furent adoptés, soutenus par des arcs-boutants et des contreforts.

Impression de légèreté (intérieure), et forêt de béquilles (extérieure).

« Nos églises, analyse l’auteur de La vie de Jésus (1863), sont à l’art antique ce que la langue de Dante est à celle de Virgile, barbares et de seconde main, si l’on veut, mais originales à leur manière et correspondant à un génie religieux tout nouveau. »

Mais à force de chercher à monter plus haut, les bâtisseurs commettent un péché d’hubris considérable, construisant des églises nécessitant un entretien constant pour ne pas très vite tomber en ruine.

« L’église du XIIème et du XIIIème siècle avait été à la lettre élevée par amour. Qu’on lise les récits charmants relatifs à la construction de la cathédrale de Chartres et de la basilique Saint-Denis. Au XIVème siècle, il s’y mêle l’idée de corvée, d’émeute, de châtiment. On élevait des églises par pénitence ; on ne les entretenait qu’à force d’impositions et par des mesures administratives. (…) L’architecture gothique était malade du même mal que la philosophie et la poésie : la subtilité. L’art n’était qu’un prodigieux tour de force, après lequel il n’y avait plus que l’impuissance. »  

La France n’eut pas de Giotto, précise le savant, mais elle eut des constructeurs admirables, enthousiastes, brillants.

Peut-être trop brillants, cherchant souvent à se couper, Renan le déplore, d’une tradition vécue comme obsolète, à la différence, peut-être, tel est l’objet de la dernière partie de son article, des artistes italiens, travaillant pour la postérité dans le respect des origines.   

Ernest Renan, L’art du Moyen Age, Editions Manucius, 2024, 76 pages

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