
©André Chabot
« C’est en 2018, au hasard d’une visite au cimetière du Père Lachaise, que j’ai découvert son œuvre atypique. En ce haut lieu de repos, André a conçu et érigé son propre mausolée, « La Mémoire Nécropolitaine », à partir d’une chapelle du 19eme siècle qu’il a fait restaurer et qui abrite aujourd’hui une imposante sculpture en granit noir de son appareil photo fétiche, un Leica R9. Véritable vitrine de son œuvre, un QR code nous renvoie à son internet La Mémoire Nécropolitaine, pour une mémoire toujours vivante. » (Lia Pradal)
L’art funéraire est en danger, André Chabot, collectionneur de tombes depuis cinquante ans, en sauve la singulière grandeur.

©André Chabot
Ayant choisi de photographier des sépultures, mausolées, ouvrages sculptés, chapelles et autres temples de recueillement du XIXe siècle à nos jours, André Chabot a construit une œuvre de dimension patrimoniale, éditée aujourd’hui avec grande classe par les éditions Païen.
Couverture à l’encre argentée, cartonnage épais se refermant sur le corpus, doubles cahiers juxataposés, l’un relié à la bodonienne, l’autre simplement agrafé.
On ouvre les pages avec précaution, comme si l’on entrait dans une nécropole.

©André Chabot
Ce ne sont que des images, mais les fantômes sont là.
S’ouvrant sur un appareil photo géant posé sur l’autel des Chabot situé au cimetière parisien du Père Lachaise, Collectionner les tombes est un inventaire de formes, jamais très loin d’une approche surréaliste des objets, faisant songer au travail au long cours sur l’archive de Thibault Tourmente.
Nous ne sommes pas qu’en France, mais partout dans le monde (voir les légendes en fin d’ouvrage), au Portugal, au Maroc, en Inde, en Belgique, en Irlande, en Allemagne, en Italie, au Brésil, au Japon, en Turquie, en Russie.

©André Chabot
La vision de cet ouvrage donne le vertige – 481 numéros sont présentés, tirés d’un ensemble personnel de 250 000 clichés -, les images apparaissant selon le principe de la mosaïque, ou de la pleine page, avec marges blanches ou non.
Chaque édifice témoigne du passage d’une vie, de la mémoire des familles, ce sont des porches pour l’au-delà, des seuils entre le visible et l’invisible.
Le grain des images en noir et blanc est perceptible, entre persistance et altération de la mémoire.

©André Chabot
Qui habite ici ? Qui rénove ?
Et cette tombe à l’abandon ? Et cette verrière brisée ?
Il y a en ces lieux étranges, fabuleux, obstinés, ce répertoire de formes archétypales (des pyramides, des semblants de grottes, des pilastres, des structures modernistes…) un rappel puissant du mystère de notre incarnation, et de notre disparition.
Des inscriptions sont lisibles (en français, latin, coréen, japonais, hébreu…) : Toi et Moi, Pax, Ici repose Madame Coran Scholastique survenue le 22 août 2009, les noms des défunts…
André Chabot, ayant travaillé notamment avec sa compagne Anne Fuard, a classé ses photographies en une douzaine de catégories : chapelles et tombeaux ; vues d’ensemble ; caveaux dalles & gisants ; effigies ; symboles ; cimetières militaires ; caveaux personnalisés ; columbariums ; croix, cippes & stèles ; cimetières forestiers ; bris, ruines & fosses ; cryptes et ossuaires.

©André Chabot
Chaque image impose une solennité, un respect, une douce frayeur, puisque nous ne voyons pas ici que les traces d’un passé enfui, abîmé, grandiloquent, modeste, mais notre futur.
Têtes de morts, pleureuses, anges, mains unies, papillons, cerfs, couronnes d’épines.
Baroque des ossuaires, vol de corneilles, fougères arborescentes.
Dans la grande ruche mortuaire, chacun son alvéole, son petit coin de repos, son tapis volant.

©André Chabot
Le deuxième cahier – sur papier lisse -, comporte des images de Marie Quéau, montrant cercueils, ailes d’ange, objets mortuaires, et mains du collectionneur.
Il y a du vaudou chez Monsieur Chabot, de la fantaisie, de l’espièglerie – bien relevée par Sylvain Besson, directeur des collections au Musée Nicéphore Niépce -, une façon de faire danser la mort, si jamais.
Chat botté, chapardeur, chatbotteur.
« Le cimetière contemporain traverse, lui aussi, analyse la critique d’art Ambre Charpier, une crise de la représentation. Nos collectivités semblent avoir oublié la dualité de ces monuments de douleur, à la fois mémoire sociale et image d’une individualité disparue. Ainsi, en déliassant les possibles fonctions rituelles de nos représentations, la cohésion sociale et les limites entre les vivants et les morts semblent drastiquement s’amenuiser. »

©André Chabot
C’est un comble, non ? Aujourd’hui, même la mort semble en danger.
Que fait le diable ?
Que fait Dieu ?
André Chabot serait-il diable et Dieu ?

André Chabot, Collectionner les tombes, André Chabot avec la collaboration d’Anne Fuard, textes Sylvain Besson, Ambre Charpier, Lia Pradal, photographies en annexe Marie Quéau, éditions Païen, 2023, 230 pages – 500 exemplaires


https://editionspaien.com/projects/31-collectionner-les-tombes