François, le pape aimé de Dieu, par Valentin Retz, écrivain

Giotto, François d’Assise prêche aux oiseaux, Assise

J’ai proposé à Valentin Retz d’écrire un texte sur la mort du pape François le jour de la résurrection du Christ, le 21 avril 2025.

Je savais que ses phrases me seraient nécessaires.

Voici ses paroles, elles sont belles, puissantes, simples, et accompagneront François pour sa naissance au ciel le jour de son enterrement.

« C’est au réveil, les yeux encore embrumés de sommeil, que j’ai appris la nouvelle. Le pape François venait de rendre l’âme, quelques heures après l’aube. La veille, ses dernières paroles publiques avaient été : « Cari fratelli e sorelle, buona pasqua. ».

Comme s’il voulait nous montrer le chemin de la confiance, le pape des pauvres aura donc quitté ce monde le premier jour de l’octave de Pâques, que les catholiques associent à une prolongation de la joie pascale, lorsque les femmes, les gardes et les disciples sont confrontés au tombeau vide et que la nouvelle de la Résurrection commence à se répandre. En 2005, Jean-Paul II, lui aussi, s’était éteint au cours de cette période. Et pour autant que nous puissions le savoir, Jules 1er également ; c’était en 352. Sur les 266 successeurs de l’apôtre Pierre, seulement trois seront donc nés au ciel durant la Pâques. Autant dire que la coïncidence frappe d’étonnement, tant il est difficile de ne pas y voir un signe providentiel.

« François, le pape aimé de Dieu. » Voilà ce que j’ai pensé à l’annonce de sa mort, alors qu’autour de moi le silence enveloppait la maison, femme et enfants continuant de dormir. Hasard du calendrier, le quatorzième anniversaire de mon fils Élie est tombé, cette année, le dimanche de Pâques, et donc la veille du décès du pontife. Quant à mon père Pascal, il fêtera son anniversaire, comme d’habitude, un 22 avril —70 ans cette fois-ci —, et donc le lendemain de la mort de François. Il y a comme une séquence. Comment ne pas la voir ? Et dans ma tête un clignotement se déclenche. C’est rouge, rouge, rouge. Le jour de Pâques, auquel succède la mort du pape. C’est blanc, blanc, blanc. L’anniversaire de mon fils, auquel succède le départ de François, auquel succède l’anniversaire de mon père. Lui qui est revenu au christianisme il y a dix ans, après une vie d’éloignement et de blocage ; et qui est désormais tertiaire franciscain, aumônier des prisons et visiteur des hôpitaux. Oui, décidément, impossible de ne pas voir, de ne pas entendre, de rester sans intelligence. Les signes se rassemblent. Il y a quelque chose à comprendre. Il faut sortir du doute, disperser les nuages qu’une personnalité hors norme, comme celle du pape, a pu parfois amonceler au-dessus de sa tête, abandonner les résistances, accueillir l’intuition. Et je répète instinctivement entre mes dents : « François, le pape aimé de Dieu ». Les mots s’imposent simplement, comme naît parfois une vérité au creux du cœur.

François, non pas aimé parce qu’il aurait été parfait. Nul ne l’est ici-bas. Et ceux qui ont subi les rigueurs de son gouvernement, jugé souvent autoritaire, ne diront pas le contraire. Mais aimé, parce qu’il aura porté l’Évangile jusqu’aux marges, faisant de ceux qui sont bafoués, oubliés, méprisés, le cœur vibrant de son apostolat. Avec lui, l’Église aura pris le visage de la Miséricorde. Elle aura soigné les blessés, réconforté les affligés, encouragé les artistes — écrivains, musiciens, créateurs de beauté —, et plus que tout relevé les exclus, les migrants, les exploités, les victimes de la guerre, la planète Terre elle-même. Mais n’était-ce pas déjà ce que le Christ déclarait dans la synagogue de Nazareth, en reprenant à son compte le vieil oracle du prophète Isaïe ? 

« L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. »

Le pape aimé de Dieu. Le ciel aura voulu qu’il apparaisse dans la simplicité du serviteur, loin de la pourpre et de l’or des puissants. Choisir de se nommer François, c’était marcher dans les pas d’un homme nu, un homme de rien ; un troubadour de Dieu qui prêchait aux oiseaux, apprivoisait les loups et embrassait les lépreux. François d’Assise : un autre Christ stigmatisé. Or, ce nom-là, il lui aura été fidèle, le portant humblement, avec la douce persévérance des âmes visionnaires. Pressentant le chaos de l’époque qui s’avance, il aura donc posé des gestes, érigé des symboles, qui resteront comme des balises et des boussoles de notre humanité, quand la tempête soufflera : la couronne de fleurs jetée en mer à Lampedusa pour les migrants engloutis dans l’indifférence, le baiser déposé sur les pieds d’un détenu lors du lavement du Jeudi saint, le silence bouleversant d’un homme seul sur la place Saint-Pierre au cœur du confinement mondial, l’appel à désarmer les marchés financiers et à tendre l’oreille aux sanglots de la Terre, la tendresse pour les sans-abri, les peuples autochtones, les chrétiens d’Orient, les oubliés de la mondialisation et finalement le choix du mot fraternité comme étendard.

Certes, l’action géopolitique du pape aimé de Dieu n’aura sans doute pas toujours été des plus heureuses, et son pacifisme à tout crin l’aura peut-être aveuglé en certaines circonstances. Avec la Russie, par exemple, alors qu’il refusait de dénoncer publiquement l’agresseur de l’Ukraine, préférant l’inviter à la table des négociations. Ou bien avec la Chine, lorsqu’il choisissait de conclure un accord sur la nomination des évêques en collaboration avec le Parti communiste, sans mesurer que ce geste, s’il visait la réconciliation, risquait en réalité d’affaiblir l’Église clandestine — celle-là même qui était restée fidèle à Rome au prix de la persécution et parfois de la prison. Mais avant d’être un chef d’État, le souverain pontife est d’abord le vicaire du Christ ici-bas. Autrement dit, un témoin du Royaume, plus qu’un stratège des équilibres de ce monde. Sa véritable autorité ne réside pas dans la finesse diplomatique, mais dans la transparence évangélique. Et à ce titre, François aura été un pasteur plus qu’un prince, un veilleur plus qu’un maître, un homme de prière plus qu’un homme de pouvoir. Il ne s’agissait pas pour lui de gagner des batailles, mais d’allumer la flamme de l’espérance. De rappeler que l’Évangile n’est pas une doctrine à défendre, mais un amour à vivre. « Car Dieu est amour », comme l’a écrit saint Jean ; et « il n’y a pas de plus grand amour que donner sa vie pour ses amis. »

« Le pape aimé de Dieu s’en est allé un lundi de Pâques », ai-je susurré machinalement, comme l’intuition monte à la bouche, entre l’éclair et l’évidence. La veille, il avait salué une dernière fois les fidèles et accordé une brève entrevue au vice-président des États-Unis. Quel trouble ce dernier n’a-t-il pas dû ressentir quand, moins de 24 heures plus tard, il a reçu la nouvelle de sa disparition ! L’esprit religieux ne voit-il pas des signes partout ? Or, le récent converti qu’est J. D. Vance n’aura pas pu ignorer le message : un homme de Dieu t’a béni peu avant son départ ; non pour asseoir un pouvoir ou sceller une alliance, mais pour rappeler qu’il continue d’exister, même au sommet du monde, des voix qui parlent juste, des mains qui chérissent sans calcul, et des yeux qui regardent tout homme comme un frère.

Le pape aimé de Dieu s’en est allé dans la lumière de la Résurrection. »

Baptême du Christ, Détail de La Vie et la Passion du Christ, par Giotto 

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