
« Homme que j’aime, demeure puits… / Je demeurerai eau ! / Les hommes me disent de te quitter et cela leur fait plaisir / Cela les réjouit ! / Homme que j’aime, demeure puits / Je demeurerai eau »
Un calao nous accueille, étrange oiseau très drôle au long bec courbé, comme un grand sexe masculin à la fois dur et pantelant.
Pour les Sénoufos de Côte d’Ivoire, du Mali et du Burkina Faso, il est symbole de connaissance et de fertilité.
Le volume Mon bel amant, publié par les éditions rochefortaises Les Petites Allées, qu’illustre le dessin de ce gourd et intrépide volatile, est merveilleux, faisant penser, dans un autre registre, à la recherche de Federico Garcia Lorca sur les berceuses andalouses.
« Les jeunes femmes originaires du milieu rural sénoufo, précise en préface Marie Lorillard, se posent la question d’un amour sublime qui survivrait à la mort. Elles le chantent et le magnifient. Mais elles disent aussi qu’on peut, dans l’amour passionnel, se blesser mutuellement, voire épuiser quelque chose. Elles expriment avec des mots simples et souvent crus ce que la brûlure de l’amour devenu obsessionnel fait au corps : une douleur vive, et puis quelque chose d’autre, quelque chose de plus profond et d’indélébile. »
Des jeunes filles se rassemblent au clair de lune, chantant à tour de rôle le nom de leur amant idéalisé, révélant un secret, attisant la curiosité de toutes, leurs rires et leur excitation.
« Il y a dans ces chants, poursuit l’antthropologue, un jeu sur ce qui peut se dire ou ce qui doit être tu. Ce premier amour est donc aussi exprimé de manière espiègle. Les chants vont évoquer la séduction en nommant les parties du corps de l’amant. Mais il y a une dimension sérieuse dans l’expression de cet amour, qui, dès son commencement, se sait condamné. Cette contradiction fait des chants des jeunes filles des morceaux de tradition orale d’une grande intensité qui entremêlent le sérieux et le jeu, la joie et la douleur, la légèreté et la gravité. »
Ardeur de l’amour, douleur de l’abandon, affliction.
Plaisir féminin, imaginaire, poésie.
Marcher derrière, être dépendante, couper ce lien.
Provocations.
« Regardez le dos lisse de mon chéri / Regardez le dos lisse de mon amant, c’est / moi qui le touche, et cela vous fait mal… / Regardez le dos lisse de mon amant, / C’est moi qui pose les mains / dessus et cela vous fait mal… / Le dos lisse de mon amant, c’est moi qui le / touche ; c’est ce qui vous fait mal… pour rien ! / Moi et mon amant nous sommes / harmonieusement liés… / C’est ce qui vous fait mal ! »
Tours et détours des amours heureuses et malheureuses.
La mélancolie pique comme un moustique.
Aiguillon, dard, pointe intime des deux sexes dressée.
« Homme que j’aime, vais-je te mettre dans mon ventre ? / Mon doux amant, vais-je te mettre dans mon ventre ? / Je l’ai regardé jusqu’à couper mon orteil ! / J’ai regardé mon bel amant jusqu’à blesser mon orteil… / Hée ! Mon orteil me fait mal ! / Huunn ! Mon orteil me fait mal !
Eau des songes érotiques.
Jarres du désir.
Rencontre des corps.
« Femmes, que personne ne fasse l’amour / Avec l’homme qui est doux à mes yeux / Non, que personne ne fasse l’amour / Avec l’homme qui est doux à mes yeux… / Je vous dis que je suis allée en brousse / Je suis allée trouver des calaos / Les calaos étaient en train de se donner des conseils / Je ne connais pas leurs conseils / Je les ai suppliés de m’en donner / Quand un homme mauvais engrosse une femme / La grossesse fait mal comme l’arbre qui blesse les pieds de l’intérieur du marigot / La grossesse est fraîche comme le caillou qui tapisse le fond du marigot »
Fraîcheur de ces chants des femmes du pays sénoufo.
Fraîcheur renouvelée de l’amour.
Un cordon ombilical céleste unit les amants.

Marie Lorillard / Faboly Jean-Claude Diamouténé, Mon bel amant, Les Petites Allées (Rochefort), 2024
https://www.lespetitesallees.fr/edition/les-collections/mon-bel-amant/