L’Intervalle accueille aujourd’hui avec grand plaisir le portfolio du photographe Antoine Picard consacré à la dernière génération d’une famille d’agriculteurs vivant en Ardèche sur un haut plateau volcanique isolé par des falaises abruptes.

Il s’agit pour lui de comprendre en images les interactions entre le lieu et les hommes, la géologie et la façon d’habiter le territoire, de le rêver, de le jouer, de le fertiliser.

Dans ce « relief inversé », où l’ancien fond de la vallée a servi de moule au plateau actuel, la pierre que l’on foule est profondeur de mémoire, et la nature y est une réserve de secrets.

Le monde que l’on contemple et qui nous contient n’est pas qu’extériorité, il habite aussi les cellules de chaque être y marchant, y dormant, y travaillant.

Dans le Coiron, Antoine Picard a trouvé dans le temps long des formations géologiques, et la fraternité d’avec une famille d’accueil, une belle manière de faire entendre le dialogue muet des humains et des choses.

« Ce projet photographique est le fruit d’une résidence de création à la Maison Familiale et Rurale de Divajeu (26) de 2015 à 2017, dans le cadre du Collectif Les Climats. Il a été réalisé en parallèle de celui de Marine Lanier sur le même territoire, avec la même famille. »

Les légendes des images qui suivent sont de l’auteur.

 

Florentin et Emilien

Florentin et Emilien sont frères. Ils vivent sur un plateau volcanique en Ardèche, isolés de la plaine par des falaises abruptes. Ils représentent la nouvelle génération d’une famille d’agriculteurs dont les ancêtres ont ouvert les terres.

Nous avons rencontré Florentin, l’aîné, alors qu’il était élève dans la maison familiale et rurale. Nous y menions un atelier photographique avec sa classe, et la manière dont il parlait de son territoire de vie nous intriguait. Ses yeux pétillaient, il semblait se déplacer avec les paysages qui l’avaient vu naître.

Vallée

Les bords du plateau sont formés de vallées profondes. Depuis chez Florentin et Emilien, du haut de la falaise, la vallée de la Payre est exposée en plein soleil automnal. Le creux est fortement marqué par son ombre, comme un trou dans lequel on pourrait s’engouffrer pour rentrer à l’intérieur de la terre.

Pierre d’aigle

Incrustées dans les falaises, des roches sont comme des pièces rapportées, des ajouts. Les aétites, ou pierre d’aigles, semblent sortir des dessous de la terre. Elles sont le résultat de phénomènes géologiques complexes. L’éruption volcanique parait avoir la capacité de faire émerger ce qui est caché, dissimulé comme une mémoire ensevelie.

Grotte

Des grottes existent à proximité de leur maison. Florentin et Emilien m’y ont amené. Nous avons pénétré à l’intérieur de ce qui fut à certaines périodes un village habité, ou des abris de maquisards. Nous les avons explorées avec la sensation de rentrer dans la chair du plateau, à l’intérieur des couches de lave, de pénétrer une mémoire.

Greffe

Etienne, leur grand-père, greffe ses châtaigniers sur le versant sud. Pour s’y rendre, il doit descendre le chemin que ses parents avaient taillé à coup de dynamite. Il greffe afin de rendre des arbres sauvages plus productifs, plus adaptés à la consommation. Il garde la souche, dont il incise l’écorce, et y introduit une branche sélectionnée. Ainsi, la branche étrangère se nourrit de la sève du porte-greffe, elle grandit et fait corps avec lui.

Drapeau

Un drapeau de fortune réalisé avec un ruban de chantier a été fixé de manière bricolée à la cime d’un arbre fragile. Il flotte fièrement au cœur d’un paysage à perte de vue, en haut du plateau. Comme un marquage il semble affirmer la consécration d’un territoire autonome. Si c’était un appel, il serait destiné à un visiteur venu du ciel.

Antoine Picard, projet Le Plateau

Site d’Antoine Picard