Murs de l’Atlantique, la subversion des corps, par Julie Hascoët, photographe

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©Julie Hascoët / Editions Autonomes

« Les blockhaus étaient anthropomorphes, leurs figures reprenaient celles des corps ; les unités d’habitation n’étaient qu’arbitraire répétition de modèle, d’un seul et même modèle orthogonal et parallélépipédique. La casemate, si facilement dissimulée au creux du paysage côtier, était ici scandaleuse et sa modernité venait moins de l’originalité de sa silhouette que de l’extrême trivialité des formes architecturales environnantes. Le profil courbé apportait, dans les quartiers portuaires, comme une trace de la courbure des dunes et des collines avoisinantes, et c’est surtout cette naturalité qui faisait scandale… le scandale du bunker. » (Paul Virilio)

Petite-fille spirituelle du philosophe et architecte Paul Virilio, dont le livre Bunker Archéologie (Les Editions du Demi-Cercle, 1991) fit date sans avoir été vraiment lu, Julie Hascoët a construit avec Murs de l’Atlantique une très belle série sur la mutation des édifices de guerre en lieux de fêtes clandestines.

©Julie Hascoët / Editions Autonomes

Livre en noir & blanc et couleur publié à Brest chez Editions Autonomes (Nathalie Bihan), Murs de l’Atlantique est une œuvre de béton brut adoucie par les nuances chromatiques évoquant l’héraldique d’un monde intérieur, jusqu’à la contemplation des paysages de mer étale.

Nous sommes entre 2013 et 2019 essentiellement dans le Finistère, mais aussi en Ille-et-Vilaine, dans le Morbihan, dans les Côtes d’Armor, en Loire-Atlantique.

©Julie Hascoët / Editions Autonomes

Des voitures se regroupent, on s’est donné le mot – Internet balbutie quelquefois dans les campagnes lointaines -, une teuf se prépare et la nuit sera longue.

Ces jeunes-là peuvent faire peur, avec leurs piercings, leurs dreads, leurs tatouages et leurs allures de bandits de grands chemins ou de rôdeurs.

Pourtant, rien de plus dégagés qu’eux, dont la véritable politique est celle du gros son, et des corps en transe, séparés, unis, épuisés.

« On dresse un mur, précise Julie Hascoët. Pièce par pièce, caisson après caisson. Méthodiquement. Comme une opération militaire. On installe un campement. Une multitude de gestes mûrement répétés, ensemble, pour une chorégraphie du crépuscule. »

©Julie Hascoët / Editions Autonomes

Des bâches – la couverture du livre en rappelle la teinte dominante -, des palettes, des camions.

Canettes, graffiti, boîtes de conserve.

La terre sera bientôt frappée, tambourinée, piétinée, comme la plasticienne et performeuse serbe Marina Abramovic a pu le montrer en filmant des rites de fécondité balkaniques.

Alcools, drogues, et une exaltation plus grande que le sexe.

Lèvres fermées, une force se lève, celle de la dépense bataillienne, géniale et irrécupérable.     

« On a, poursuit l’artiste dans son beau texte en sept points, éradiqué le jour, distendu à merci, la nuit s’est étirée vers le surlendemain – dans un gouffre de pupilles ; on a aboli le matin, suspendu le présent, on se tient hors du temps – une rêverie infinie, sans sommeil ni réveil. Il n’en reste plus rien. »

©Julie Hascoët / Editions Autonomes

Le ciel est gris, il y aura bientôt de l’orage dans les bouches de feu désertées par les Nazis, c’est galère, mais rien n’est meilleur.

Une cérémonie se prépare, pour initiés.

Les treillis ont changé de corps, passant du militaire assermenté/asservi au teufeur punk.

Les regards sont farouches, sauvages, indociles.

Les structures qui affleurent, de l’eau ou de la végétation, ont la puissance des sous-marins, de silence tranquille et de force redoutable.

Julie Hascoët ne photographie pas directement le moment des corps dans la fête, mais ses préparatifs, ses alentours, la fatigue, l’attente, le sommeil, l’arrêt.

©Julie Hascoët / Editions Autonomes

Conciliabules et atmosphère de conspiration. 

Landes, sables, tapis de feuilles.

Pulls à capuche.

Tentes, campements, duvets.

On installe, on architecture, on danse sur les gravats.

Il y a des blousons noirs, mais aussi des îles lointaines, le mur du temps et les murmures de l’eau.

©Julie Hascoët / Editions Autonomes

En créant une alternance très inspirante entre la mer et les édifices de haine, entre les corps rassemblés dans la brume et l’espace libre, entre l’éclairage électrique et la lumière naturelle, Julie Hascoët invente une forme accueillant à la fois un moment de l’histoire de la contre-culture française et une sensation d’ailleurs, l’un ne pouvant être considéré sans l’autre.

Murs de l’Atlantique rappelle la guerre pour penser l’utopie – nous sommes des entités humaines traversées par des sons primordiaux -, la folie de l’effort défensif à grande échelle pour autoriser les échappées belles et les rêves d’un retournement du mal par la profondeur d’un présent vécu à fond, seuls et ensemble.  

Julie Hascoët, Murs de l’Atlantique, texte (français/anglais) Julie Hascoët, conception éditoriale Nathalie Bihan et Julie Hascoët, conception graphique Nathalie Bihan et Antonin Faurel,  Editions Autonomes, 2022, 120 pages – 650 exemplaires

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 ©Julie Hascoët / Editions Autonomes

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