D’un anacyclique duchampien, par Cécile Mainard, auteure performeuse

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« La puissance du jour fait éclater son noyau comme une coque. »

La poétesse Cécile Mainardi perd peu à peu ses lettres.

Elle est pour Roman d’exposition, Cécile Mainard, nom qui évoque immédiatement la figure de l’écrivain fictif Pierre Ménard inventé par Borges, personnage ayant entrepris de réécrire à l’identique le premier livre de Don Quichotte, de Cervantes.

Le vertige textuel et métaphysique, ainsi que le questionnement sur l’identité et la capacité à lire, relire, transformer ce que l’on a lu, sont ainsi au cœur des projets littéraires, et performés, de l’auteure de Le Degré rose de l’écriture (Ekphrasis, 2018).

Tentative d’épuisement et de relance d’un signifiant à partir de son retournement, Roman d’exposition explore une trouvaille, d’ordre à la fois archéopoétique et ésotérique, faite dans un ready-made de Marcel Duchamp, vision née du renversement d’une œuvre datant de 1923, Wanted 2000$ Reward.

Sous-titré Performance under reading conditions, cet opus cherche à comprendre la « va-et-vient halluciné de signes » ayant permis de déceler le mot DRAWER dans le mot REWARD, soit la dimension anagrammatique de l’existence, ou même anacyclique, le palindrome, vous en conviendrez, n’étant qu’un cas particulier de la loi générale de la permutation et du renversement – mystique ?  

L’écrivaine appelle Mainardises ces savoureuses sucreries mentales nées du détourage des lettres.

Merleau-Ponty : « La signification dévore les signes. »

Miles Davis : « J’improvise toujours au-dessus de mes moyens. »

L’enquête se déroule en une quinzaine de chapitres, exposant, comme une gravure, le renversement graphique d’un mot.

La littérature n’est-elle pas ce vaste dispositif, quasiment consanguin, où la lettre engendre la lettre en la déformant pour mieux en préserver le secret d’origine ?

La lecture n’est-elle pas de l’ordre d’une conversion au-delà de toute conversation ?

Recherche donc pour 2000 $ dessinateur, mais aussi tiroir où ranger des poussières de pensée.

Il y a dans tout texte, voire dans toute phrase, ou même tout mot, un trésor caché, à chacun de le trouver en se rappelant d’intuition ce que fut à l’aube de toute présence la merveille de langue d’or.

Il n’y a pas de hasard, mais des lois dessinées, un destin des sons, une pâte verbale, un hypertexte dans l’inframince.

Si vous téléphonez à Cécile Mainard, son répondeur vous répond avec la voix de Robert Filliou : « Quoi que tu fasses, fais autre chose ! »

L’habile, le génial Duchamp, qui avait pris pour double féminin Rrose Sélavy, se souvenant de Gertrude Stein, avait conscience de la puissance de la lettre cachée en chaque mot, chaque texte, la lecture étant déchiffrement d’une énigme à l’aveugle – qu’on se souvienne avec Cécile Mainard de l’ambigramme ANEMIC CINEMA.

Il y a du surréalisme, des fulgurances Fluxus, et de la cartomancie, chez la poétesse cherchant à faire de Roman d’exposition un équivalent textuel de la pensée plastique duchampienne.

Et, qu’on se le mainardise, tout ceci est très réjouissant, très sérieux, joie de gai savoir débondé, œil mobile, inventif, humour mallarméen.

Cécile Mainard, Roman d’exposition, contributions de Vicent Broqua, Agathe Bastide, Daniel Foucard, Henri Guette, Vicent La Baume et Camille Paulhan, édition Stéphane Fretz, design et mise en page Valérie Giroud, collection SushLarry,  Art&Fiction (Lausanne), 2023, 170 pages

https://artfiction.ch/produit/roman-dexposition-performance-under-reading-conditions

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Avatar de Dominique Dufau Dominique Dufau dit :

    Mais bien sûr ! Duchamp n’est qu’un prétexte pour parler de Cécile Mainardi. Avez-vous lu son livre ? Continuez à théoriser pour appuyer les prétentions de vos amis.

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