
« Être guidé dans tout ce que l’on entreprend par la maxime de Bismarck : En politique, comme ailleurs, il faut suivre le droit chemin, car on est assuré de n’y rencontrer personne. »
Arrive un moment – décisif, dirait Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz – où, à l’occasion d’une maladie grave, d’un deuil, d’une rupture amoureuse et de quelque événement majeur dans la vie du petit d’homme, où les dés ont la possibilité d’être jetés de nouveau.
Avec Touché, publié chez P.O.L, Pascalle Monnier liste ce qu’il lui importe de sauver, de prolonger ou de renouveler.
On peut être touché par la grâce, ou une blessure, et l’on peut être coulé si l’on manque le dernier bac sur le fleuve du temps.
C’est la touche juste, à l’américaine, bebopait Ti-Jean Kerouac, seigneur de Centre-Bretagne.
A l’infinitif, de façon neutre – il n’est pas question de genrer ici la prose pour répondre aux attentes sociales du moment -, Pascale Monnier, se rappelant probablement ses classiques (je me souviens que je me souviens de Perec), s’offre la chance d’un recommencement par le performatif du texte écrit, lancé dans le maëlstrom éditorial, reçu peut-être par quelques lecteurs qui en garderont pour elle la mémoire.
On peut rêver d’acheter un Stradivarius, ou même de donner son nom à un violon, comme l’on peut s’obliger à suivre le programme de Montaigne : « faire ce que l’on a voulu faire, être ce que l’on a voulu être, donner à son âme la forme qui lui convient davantage, etc. »
On peut raisonner, s’émouvoir, penser avec Artaud, Stendhal, Joyce, Nietzsche, Baudelaire, Mallarmé, Goethe, Sade (cités, parmi d’autres géants), mais in fine il faudra s’engager, ou déchoir.
« Essayer de penser comme le chauffeur de taxi cambodgien parlait : omettre les articles et prépositions et s’en tenir aux verbes, s’autoriser à de très rares occasions quelques substantifs et adjectifs. »
Faire l’inventaire régulièrement, trier, jeter, garder, inventer.
Mettre à distance la psychologie, la sentimentalité, la culpabilité.
« Ne pas devenir aussi neurasthénique que Buzz l’Eclair quand il comprend qu’il pourrait être remplacé par un jouet plus performant. »
Lire Touché, c’est bien entendu se demander si l’on pourrait valider telle ou telle proposition, si tel ou tel vœu convient à notre complexion.
« Résister à la fascination des illusions perdues. » – validé.
« Ecrire comme on code un programme. » – bof.
« Chercher son être non musical pour écrire et vivre, tuer le musicien en soi, selon Kafka. » – bof.
« Eprouver chaque matin, au retour de la lumière, un immense soulagement. » – certes.
« S’émerveiller de ce que chaque chose fasse cadeau d’une autre : la traversée nocturne de la 85e rue en taxi, défilé sombre entre les rochers de Central Park, du fait de l’épuisement des amortisseurs conjugué aux cahots de la chaussée, l’occasion d’une balade en carriole dans une lande écossaise. Le déversement du container de recyclage du verre sur l’avenue, le mercredi dans Paris : le chant aigrelet d’un torrent de montagne. Le démontage des étals du marché d’Anvers : l’écho sinistre d’un échafaud que l’on dresse. Un jour ensoleillé d’octobre : le spectacle du monde extérieur éclairé à la bougie. Le retable de saint Jean retenant la Vierge qui s’effondre de douleur : la vue d’un couple ivre de plaisir. » – oui.
Maintenant, chers lecteurs, c’est à vous.

Pascalle Monnier, Touché, P.O.L, 2023, 64 pages
https://www.pol-editeur.com/index.php?spec=auteur&numauteur=144

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