Partir, rester encore, par Christine Delory-Momberger, photographe, écrivain

©Christine Delory-Momberger

« des fantômes / passaient / et s’en allaient // ma mère / elle // restait / intranquille / toute tassée // dans le creux / de son fauteuil »

L’œuvre de Christine Delory-Momberger est un dialogue avec la mort, un hommage d’une rescapée à ceux qui s’en vont, d’une vivante à ceux qui la hantent.

©Christine Delory-Momberger

Une mère s’en va, mais pour où ? pour quel destin d’au-delà ? pour quelles constellations d’images ?

Lune noire est, comme l’ensemble des autres ouvrages de l’auteure, un livre hanté, s’élaborant dans cette zone étrange où la disparition côtoie ce qui résiste à l’engloutissement, quand la mémoire s’appelle métamorphose.

Précédé de poèmes composés de successions de distiques, de tercets et de quatrains comprenant des vers de quelques syllabes seulement, comme de courtes respirations pour une maman à bout de souffle, cet opus très émouvant dit la peine mais aussi ce qui persiste dans et après la douleur.

©Christine Delory-Momberger

Puisque tout part à la dérive, il faut peut-être l’effort d’art pour fixer quelques îles.

On attend Godot, on attend la bête dans la jungle, on attend la mort.

Elle est là, on la chasse, on se soumet, on découvre ce qui n’a pas de nom, ou comprend tous les cris.

Les résidents se lèvent parfois la nuit, perdus, ils sont si jeunes encore.

©Christine Delory-Momberger

Une mère nous attend, nous venons, nous nous dispersons, il est souvent trop tard lorsque la porte s’ouvre pour une ultime fois.

Maman chute, maman est une enfant, maman est un parchemin à l’encre s’effaçant.

« étendue // un drap / blanc / la couvre // ma gisante // corps / devenu / pierre // yeux / clos // à jamais // ma mère / s’en est allée »

Quelle heure est-il pour toujours à l’instant de la mort ?

©Christine Delory-Momberger

D’un grain très perceptible, douées d’une vie moléculaire autonome, les photographies de Christine Delory-Momberger, expriment le deuil, la perte, le silence de Dieu.

La chambre est nue, presque pascalienne, une chemise pend sur un cintre.

Une louve rôde dans une forêt de bouleaux, l’Histoire est là avec sa terrible hache, et ses millions de déportés.     

Que sont devenus les sourires de nos camarades de l’école primaire ?

Quelles fleurs respirera-t-on le jour de la cérémonie des adieux ?

Une corneille veille sur les arbres grimaçants de la nuit.

©Christine Delory-Momberger

Passent des visages nobles et beaux.

Le tic-tac de l’horloge est aussi celui d’une faux, ou d’une arme automatique nazie.

Maman, tu es comme moi une poupée de chiffon aux jambes frêles.

Et Christine Delory-Momberger d’écrire superbement : « Lune noire des oubliés, cachée dans l’ombre de la terre, sont-ils là rassemblés les petits enfants fantômes, veillant depuis si longtemps. Lune noire d’une mémoire chavirée, sombrée d’un passé exilé, refuge d’ancêtres dispersés, réclamant leur part d’histoire. Lune noire des inaccomplis, des rêves et des désirs, d’un imaginaire déliant les frontières de l’invisible. Lune noire, levée au firmament d’une remontée vers l’éternité. Se glisser dans la nébuleuse obscure, faire corps avec son mystère et retrouver les disparus par la force de la création. »

Christine Delory-Momberger, Lune noire, textes de Christine Delory-Momberger & Jean-Philippe Pierron, Arnaud Bizalion Editeur / Agence Révélateur, 2023

https://www.christinedeloryphotography.com/

https://www.arnaudbizalion.fr/accueil/171-lune-noire-christine-delory-momberger.html

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