En pure perte, avec l’humble genêt et les jardins de poussière, par Carlo Ossola, écrivain, philologue

Agadès, Niger, 1975 ©Bernard Plossu

« Notre époque, fascinée par les mythes d’Ulysse, par les emblèmes de la sagesse active, a un peu oublié les vertus passives, la patience, le renoncement, le détachement, la pure perte de soi. »

Et si le Prince était pour une fois le plus fragile, le plus renonçant, le plus fou, le plus pauvre ?

S’il était à la fois L’Idiot et Don Quichotte ?

Alors que les entreprises de développement personnel ont le vent en poupe, Carlo Ossola, historien, critique littéraire, philologue, professeur au Collège de France entre 2000 et 2021 – chaire « Littératures modernes d’Europe néolatine » -, nous propose au contraire, dans un texte réjouissant intitulé En pure perte, de lâcher-prise, de faire un grand pas de côté, de retourner notre regard vers le plus humble, le minuscule, le grain de poussière.

La société valorise la réussite individuelle, le cursus honorum et les signes extérieurs de richesse, nous irons donc avec Carlo Ossola, adepte du neutre barthésien, vers les lointains intérieurs.

Ah, quel bonheur de se laisser aller au repos de soi, de ne rien chercher et, paradoxalement peut-être, de tout trouver.

Plus d’arrogance, mais la naïveté du juste tel que décrite par Nikolaï Leskov.

Plus de désir de revanche sociale, mais la sainteté de Félicité, la servante imaginée par Gustave Flaubert.

Plus d’agitation, mais l’immobilité d’Oblomov, « troublé par rien », telle que magnifiée par Ivan Gontcharov.

Laisser le temps s’écouler, ne pas peser, rester innocent, intègre, inébranlable – comme Bartleby ?

Méditer l’aventure franciscaine.

La charité, voilà la clé.

Etre anonyme, s’anéantir, vivre au désert.

Oui, c’est la voie, c’est admirable, c’est la solution, mais seulement, tempère l’écrivain, si l’on n’est pas de ces dépossédés de tout, jusqu’en notre vie intérieure, par une société nous forçant à mener une vie indigne.

Les naufragés sont légion, les abandonnés, les relégués – exemple est ici donné des malheureux de l’asile de Volterra exprimant par lettre au début du XXe siècle leur effroyable condition.

 Carlo Ossola poursuit son texte bref et puissant par un éloge de Charles de Foucauld, qui fit tant pour la préservation de la culture touareg, recueillant des chants, élaborant des dictionnaires.

Du désert algérien où il passa quinze ans, il écrivit au grand spécialiste de l’arabe Louis Massignon : « Nous sommes tous si faibles ! (…) Le désert n’est pas le grand vide, la négation de la présence, mais il est l’immense écoute des hymnes que le vent apporte de la nuit des temps, de la profondeur des cœurs, qui unit les âmes, les corps, enfants du cheminement vers la Tente. »

Etre à sa place, se faire oublier, vivre le trésor du rien.

Croire « en une vérité qui dépasse la mort » (Carlo Ossola).  

Et partager sa délivrance ?

Carlo Ossola, En pure perte, Le renoncement et le gratuit, collection « Petite Bibliothèque » dirigée par Lidia Breda, Rivages poche, 2011, nouvelle édition 2021, 96 pages

https://www.payot-rivages.fr/rivages/livre/en-pure-perte-9782743653798

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