La guerre totale et les vanités, mais Sempé, par la revue L’Atelier du roman

« L’œuvre de Sempé est immense. Son joyeux scepticisme et sa douce satire ont embrassé trois générations. Sa quarantaine d’albums et ses innombrables illustrations parues dans des revues et des livres constituent un ensemble artistique qui n’a pas son équivalent. Sempré est unique. Unique comme Tati. Unique comme son pays qui, à ses meilleurs moments, a su marier la profondeur de la pensée avec les joies de la vie. Sempré est aimé de tous, de tous les publics, de tous les âges. A-t-il besoin de commentaires ? Pour être connu, non, pour ne pas être cantonné dans son temps, si. » (Lakis Proguidis)

Samedi 23 septembre, je lis le journal Le Monde.

Voici quelques exemples du lexique que je relève sur les trois premières pages : obstacles, tension, fermeture, dénoncé, poursuites, calomnieuse, harcèlement, en danger, garde à vue, perquisition, mis en examen, prison, divisions, crime de guerre, de force, mandat d’arrêt, répression brutale, contentieux, invasion, fiasco, échec, armes, véhicules de combat, bataillon, représailles.

Qu’en pensez-vous ? Vous allez bien ?

Contre cette sinistrose, je vous propose avec la revue L’Atelier du Roman, qui fête cette automne ses trente ans, un excellent remède.

Ne prendriez-vous pas un peu de Sempé ?

Au moment du naufrage, je vous propose avec lui un peignoir.

Une glace dans une coupe.

Une théière sous un parasol.

Frédéric Pajak voit en lui un « moraliste », descendant des maîtres du XVIIe siècle français : « Il connaît par cœur la vanité des grands discours, leur pédantisme. Un dessin, une légende, et tout est dit, comme un coup de poing dans la figure infligé avec une infinie douceur. »

Benoît Duteurtre, qui le rapproche aussi de Jean de La Fontaine : « Depuis ses débuts, Sempé décline son art dans un grande diversité de registres. Le gag reste à ses yeux la base du métier de dessinateur d’humour (le type très excité qui balance des pierres dans la montagne sans voir qu’elles tombent sur sa propre voiture) ; il adore les non-sens psychologiques (ce gros homme riche qui rêvasse devant un immense paysage, en expliquant à son minuscule chauffeur : « on se sent vraiment peu de choses ») ; il fait merveille dans les suites de dessins numérotés qui démontent la mécanique existentielle (l’industriel au bord de la dépression qui se retire à la campagne pour cultiver son jardin et transforme progressivement ce jardin en nouvelle exploitation industrielle) ; il atteint au sublime dans les raccourcis surréalistes (ce personnage apparemment banal et soumis qui marche seul sur une route, brandissant dans sa main un panneau qui dit « non ») ; il aime aussi saisir, dans une inspiration rêveuse, la poésie d’un instant : comme cet homme sur un rivage aux couleurs de l’aquarelle, suivi par un chien qui accomplit autour de lui d’innombrables cercles dans le sable. »

Un lion mélancolique descend en marchant comme un humain une colline boisée sous le regard attendri d’une petite créature canine assise sur un rondin contre le tronc d’un arbre – ces personnages sont récurrents.

Le même lion recevant, humblement, un « prix encourageant ».

Une sorte d’Alain Robbe-Grillet modeste (est-ce possible ?) marchant, l’air hagard, avec son éditeur le tenant par l’épaule.

La gloire en habit d’académicien, mais toujours ce sentiment d’être un second.

Yves Hersant : « Sempé ? La gravité sans la pesanteur ; la légèreté du pensif ; et l’art d’être mine de rien. Il aimait, dit-on, à citer cet aphorisme de Jean Anouilh :’L’homme est un animal inconsolable et gai’. »

La savoir comme enfermement – une forteresse de livres – et l’enseignement du grand dehors.

Jacques Réda : « Sempé est un bienfaiteur ! »

Denis Grozdanovitch : « La force de Sempé, me semble-t-il, est d’inscrire sa vision ambivalente au cœur d’une dimension comique sans acrimonie, se moquant et s’attendrissant tout à la fois des deux attitudes antagonistes : la grandiloquence d’une pensée intellectuelle sans doute généreuse mais tout à fait déconnectée du réel et cette tentative égoïste et quasi-désespérée de sauvegarder à tout prix son étroit petit espace de bonheur personnel. »

Pavel Schmidt : « Je me sempéfie. »

Philippe Garnier : « Chez Sempé, la silhouette humaine et l’espace – tous deux dessinés avec un sens aigu du détail et de l’ellipse – forment un duo en perpétuelle tension. Leur association est tantôt tragique, tantôt grotesque, souvent les deux à la fois. Dans ces vastes décors artificiels ou naturels, l’humain de passage apparaît dérisoire, plus encore lorsqu’il est en couple. Sa fragilité s’accompagne le plus souvent d’un propos qui se veut profond et contemplatif. »

Christian Pasturel – adressant une lettre à Sempé : « Il y aurait eu au couvent de la Miséricorde une sœur chargée d’aller en ville faire des piqûres. Elle se déplaçait sur son vélo Solex, avec un grand casque sur la tête qu’elle gardait, paraît-il, pendant qu’elle maniait ses seringues. J’ai envie de te dire : ‘Dessine-moi cette bonne sœur.’ »

Jacques Dewitte rapproche Sempé de Daumier, citant ce jugement de Baudelaire : « Sa caricature est formidable d’ampleur, mais sans rancune et sans fiel. Il y a dans toute son œuvre un fonds d’honnêteté et de bonhomie. » 

Dans son bel article intitulé La banalité du bien, Francesco Forlani ne voit pas Sempé en « moraliste »  (voir plus haut), mais il confond peut-être ce terme avec celui de « moralisateur ».

Frédéric Beigbeder : « C’est un observateur unique du désespoir futile, du cauchemar climatisé, de l’humaine condition. »

Revue L’Atelier du Roman, Sempé pour toujours, contributions de Frédéric Pajak, Benoît Duteurtre, Philippe Delerm, Yves Hersant, Denis Grozdanovitch, Pavel Schmidt, Philippe Garnier, Christian Pasturel, Jacques Dewitte, Fernando Arrabal, François Taillandier, Francesco Forlani, Frédéric Beigbeder, Lakis Proguidis, Milan Kundera, Théo Ananissoh, Olivier Maulin, Yves Lepesqueur, Isabelle Daunais, directeur de la publication Mathieu Coson, rédaction Lakis Proguidis, secrétaire de rédaction Doris Saclabani,  Buchet-Chastel/Libella, septembre 2023, numéro 114, 188 pages

https://www.latelierduroman.com/

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